VALENTIN EN VACANCES

5. LA PUNAISE

Le lendemain matin, Valentin se réveilla en forme. Finie l’impression de manque du premier jour. Comme convenu la veille, il retourna voir son ami Quentin.
— C'est top que tes parents aient accepté, se réjouit-il, nous allons vivre quatre jours formidables dans des paysages exceptionnels.
— Oui, c'est super. Tu as apporté la liste des équipements à emmener ?
— Tiens, je t'ai fait une copie.
— Merci. Voyons : chaussures de randonnée plus baskets, j'ai ; deux paires de chaussettes, deux slips, deux t-shirts... Seulement deux de chaque ? On ne va pas sentir le frais le troisième jour !
— Mon grand-père a dit : lessive tous les soirs ; il se charge du savon, mais à nous de frotter.
— Et pour faire sécher le linge ?
— En marchant, suspendu au sac à dos.
— Ça va être d’une élégance !
— Bah, les filles ne seront pas là pour te voir.
— Ni Emily pour toi.
— Oublie. Emily est dans notre groupe mais pour moi au même titre que les autres filles.
— Elle s’en mord les doigts de t’avoir perdu, comme Océane d’ailleurs.
— Pas moi. Bon, continue la liste.
— Je disais deux t-shirts : j’en ai un en bon état, il faut que j’aille m’en acheter un autre.
— Nous irons ensemble tout à l’heure si tu veux.
— D’accord. Ensuite un pantalon de survêt et un bermuda, c’est bon. Une casquette, un pull ou un sweat bien chaud, un poncho et un anorak. Un anorak en juillet ?
— Il peut pleuvoir, faire orage, voire même neiger en altitude, dit mon grand-père. Il ne faut pas oublier que nous allons marcher sur des sentiers entre mille quatre cents et plus de trois mille mètres. C’est OK pour toi l’habillement ?
— C’est bon à part un t-shirt et le poncho.
— Tu trouveras ça au grand magasin Lac et Montagne à Ville Semnoz. Continue la liste.
— Une gourde, un couteau suisse, cuillère et fourchette, une assiette creuse en plastique, des graines à croquer, des barres énergétiques, une ou deux soupes en sachet, une ou deux boites de pâté, un peu de fromage plus tout ce que tu veux…
— Jean-Claude mon grand-père a ajouté « tu peux même prendre une enclume mais n’oublie pas que c’est toi qui portes ! »
— Très drôle ! Je prendrai aussi mon smartphone avec son chargeur, je ne veux pas rater les messages des copains et des copines, ajouta Quentin en rougissant.
— Prise-chargeur inutile, a dit Jean-Claude, seulement le cordon USB, il s’est procuré un kit solaire souple. Nous rechargerons nos engins en randonnant, mais nous ne pouvons pas être sûrs d’avoir du réseau.
— Comment dormirons-nous à l’étape ?
— Mon grand-père a retenu des places en gites ou en refuges, tout est organisé. Nous allons au magasin ? C’est la bonne heure, il n’y aura personne.
— C’est parti !

— Le présentoir à t-shirts est au fond du magasin, je m'en suis acheté deux hier.
— Regarde celui-ci, ce polo vert bouteille, et ce t-shirt, vert olive avec une bande plus sombre, il est fait pour moi !
— D'autant plus que le vert va bien aux rouquins, Quentin.
— Très fin ! Je vais les essayer même si je ne suis pas vraiment roux mais châtain clair. Où sont les cabines ?
— Contre le mur de gauche, vers la vendeuse là-bas.
— Tu me diras lequel me va le mieux.
Quentin disparut à peine trente secondes pour ressortir avec le t-shirt vert olive.
— Qu'est-ce que tu en penses ?
— Un peu trop près du corps, trop serré si tu préfères.
— Bon, j'essaie l'autre.
Quelques secondes plus tard Quentin avait revêtu le polo vert sombre.
— Ah oui, beaucoup mieux, estima Valentin.
— Je te fais plus confiance qu'à moi, je le prends.
— Donne-moi l'autre, je vais le ranger.
La vendeuse le regarda d'un œil soupçonneux quand il remit soigneusement le vêtement sur son cintre. Valentin ne se rendit compte de rien.
— Où pouvons-nous trouver les ponchos s'il vous plaît ? lui demanda-t-il poliment.
— À droite de la caisse, répondit-elle, beaucoup moins avenante que la veille.
— Merci.
Son achat négligemment jeté sur l’épaule, Quentin, un poncho emballé dans une poche en plastique dans chaque main hésitait.
— Je prends le bleu ou le transparent ? demanda-t-il.
— Le transparent, comme ça tu pourras éventuellement charger ton téléphone en marchant, même s'il pleut.
— Pas bête. Tiens regarde ce que j'ai trouvé dans la cabine, dit encore Quentin en présentant à son ami un macaron en plastique beige.
— Montre-voir, dit Valentin en saisissant l’objet.
— Ah c'est vous qui volez des vêtements ! intervint la vendeuse en saisissant le poignet de Valentin qui, de surprise, laissa tomber le macaron.
— Non mais, qu'est-ce qui vous prend ? se rebiffa l'adolescent en dégageant son bras d'une secousse.
— Patron, c'est lui le voleur ! cria la vendeuse Il avait encore un macaron d'antivol à la main.
— Pardon madame, qu’est-ce que vous nous reprochez ? insista Valentin.
— Vol à l’étalage ! Et ce n’est pas la première fois. Vous, je vous ai déjà vu hier, ajouta-t-elle en désignant Valentin. Ce t-shirt que vous portez vient de notre magasin.
— C’est exact, je l’ai acheté hier, j’étais avec mon grand-père. J’ai encore le ticket de caisse à la maison.
— Il manquait un polo et deux t-shirts à mon inventaire d’hier soir, compléta la vendeuse.
— Mais je n’ai rien volé, nous n’avons rien volé ! s’énerva Quentin. Je suis juste venu avec mon copain pour acheter un polo, celui-ci, et un poncho, celui-là. Si vous ne voulez pas vendre, on va acheter ailleurs.
— Et ça, c’est quoi ? dit le patron qui s’était joint à la vendeuse, en désignant le macaron qui avait roulé au sol. Bloquez la porte de sortie mademoiselle.
— Ça, c’est un truc qui était derrière le banc dans la cabine d’essayage. Je le montrais à mon copain. J’allais le remettre à la caisse en payant mes achats.
— Oui oui oui, je connais la technique. On prend plusieurs habits, on fait sauter l’anti-vol du plus cher, on le met sous ses propres habits et on paye l’autre. Deux pour le prix d’un.
— Mais on ne peut pas enlever ce type d’antivol, même en tirant très fort, argumenta Valentin.
— Donc tu as essayé ! Allez, déshabillez-vous !
— Il n’en est pas question ! s’opposa Valentin. Vous ne pouvez pas nous obliger.
— Videz vos poches ! ordonna le directeur du magasin.
Quentin sortit son portefeuille en toile, son téléphone puis retourna les poches de son bermuda. Valentin, un sourire ironique sur les lèvres, commença lui aussi son inventaire mais son sourire se crispa quand il sortit les aimants du disque dur sur lesquels était collée la grosse punaise extraite de sa semelle. Il avait compris.
— Ah ah, vous êtes pris sur le fait mes lascars. Vous ne pouvez plus nier maintenant. Appelez la gendarmerie mademoiselle. En attendant allez vous asseoir derrière les caisses.
— Vous ne voulez pas que je vous explique… tenta Valentin en sortant son téléphone.
— Tu t’expliqueras devant les gendarmes.
— J’appelle mon grand-père. Le monsieur qui hier vous a payé cent quatre vingt seize euros et soixante-dix centimes pour m’équiper en matériel de randonnée.
— Tu n’appelles personne et tu vas t’asseoir ! intima le commerçant.
Valentin fit un petit mouvement circulaire de son index droit en direction de Quentin tout en agitant son smartphone tenu dans la main gauche. Son ami hocha la tête, toucha deux fois la vitre de son propre appareil et l’orienta vers son ami.
— Je ne vous permets pas de me tutoyer ! continua Valentin.
— Tu imagines peut-être qu’un sale petit voleur a des droits dans ce magasin ! Va t’asseoir et ne bouge plus !
— Vous n’avez pas le droit de m’insulter ni de me donner d’ordres, dans ce magasin ou ailleurs !
Le commerçant, rouge de colère, saisit le bras de Valentin, tenta de le pousser jusqu’à la banquette située derrière le comptoir. Valentin résista, tenta un moulinet de son bras captif pour se libérer, mais l’homme était costaud et le tira vers lui. L’adolescent ne put se dégager mais il réussit à mettre son pied gauche sur les orteils de l’homme et à y peser de ses quarante-huit kilos. Le patron du magasin poussa un grognement et lança une violente gifle au visage de Valentin qui se laissa tomber au sol en hurlant aussi fort qu’il put. Puis il resta étendu par terre, une main sur son oreille meurtrie.
— Relève-toi, tu n’as que ce que tu mérites, petit voyou.
Valentin se releva en grimaçant, la main toujours sur l’oreille.
— Je n’entends plus rien, vous m’avez éclaté le tympan. Il faut que je voie un médecin.
— C’est les gendarmes que tu vas voir.
Valentin fit discrètement un signe d’arrêter à l’intention de son ami qui remit son smartphone en poche.
— La voiture de la gendarmerie arrive, dit la vendeuse gênée par la violence de la scène. Valentin mit un genou au sol, se laissa à nouveau tomber puis se recroquevilla en appuyant toujours la main sur son oreille droite.