VALENTIN EN VACANCES

9. DEUXIÈME JOUR EN MONTAGNE

Après un déluge de feu, de bruit, de grêle et de bourrasques de vent, les éléments s’étaient calmés laissant place à une pluie régulière et continue. Randonneurs fatigués de leur journée et alpinistes déterminés à se lever tôt avaient petit à petit déserté la salle commune pour regagner leurs dortoirs respectifs. D’abord fort impressionnés par ce déchainement de la nature en haute montagne, Quentin et Valentin, se détendaient en disputant une partie de manille découverte, ancien jeu de cartes que le grand-père de Valentin venait de leur enseigner. Jean-Claude, plan IGN déployé sur une moitié de table révisait une fois de plus ses itinéraires.
Quelques tables plus loin, assis devant un petit verre de génépi, deux gendarmes secouristes de haute montagne discutaient avec le patron du refuge. Des bribes de conversation venaient aux oreilles de Valentin peu au jeu.
— … fracture du fémur … glacier de la Réchasse… hélico…
— … chez les randonneurs ?
— … entorse du genou… journée calme et ici ?
— … couple anglais… perdu portefeuille… pas pu payer…
— Et mon dix de cœur qui prend ton manillon, je crois que j’ai encore gagné, dit Quentin triomphant, je compte : cinq et quatre neuf et cinq quatorze et trois dix-sept… et un trente-six. Trente-six à vingt-quatre, au total cinq parties contre deux !
— Bravo Quentin, félicita le grand-père. Mais vous ferez la revanche un autre soir, il est temps d’essayer de dormir bien que la journée de demain ne soit pas trop éprouvante.
— Pourquoi seulement essayer de dormir ? demanda Quentin.
— Dans les refuges, où que ce soit, il y a toujours un ronfleur par chambrée et, dans notre dortoir, il est bien possible que ce soit moi, avoua Jean-Claude avec un sourire d’autodérision. De plus, les montagnards qui font du glacier partent toujours très tôt, à la frontale, pour avoir de bonnes conditions de regel, et cela ne se fait pas sans un minimum de bruit. Mais bonne nouvelle : le temps va se rétablir dans la nuit. J’ai prévu que nous commencions à marcher vers neuf heures, pas d’objections ?
— C’est toi le chef, Jean-Claude.
— Alors direction l’ancien refuge et au lit. Gardez vos téléphones près de vous pour vous éclairer si vous êtes obligés de vous lever la nuit, c’est le noir absolu dans les dortoirs où d’ailleurs il n’y aura pas que nous. Vous mettrez vos sacs sous vos lits, comme tout le monde.

Tout habillé sur le matelas de son châlit, blotti sous une couverture pour lutter contre la fraicheur humide, Valentin ne dormait pas. Tout était nouveau pour lui : hier soir dans sa chambre douillette à Saint Thomas du lac, ce soir dans un lieu inconnu et à plus de deux mille cinq cents mètres d’altitude où la première nuit est souvent difficile. Il resta très longtemps éveillé, son corps cherchant l’oxygène par une respiration plus rapide qu’à l’accoutumée. Son grand-père ayant cessé ses ronflements, il allait enfin sombrer dans le sommeil quand un léger et bref courant d’air sur son visage l’alerta. Il réouvrit les yeux mais ne fit pas un mouvement. Un rectangle moins sombre se dessinait dans le noir de la nuit. Au milieu de ce rectangle une silhouette humaine se profilait qui avança sans aucun bruit. La forme se baissa un instant. Valentin crut entendre quelques déclics presque imperceptibles et un léger froissement d’étoffe, puis l’ombre se redressa et disparut tout aussi silencieusement. Le courant d’air reprit puis cessa rapidement et le noir total de nouveau s’imposa. Valentin relança son smartphone, de l’index il caressa l’écran jusqu’à activer la lampe diode qu’il orienta vers la porte du dortoir. Rien. Avait-il rêvé ? Il allait éteindre quand le faisceau lumineux éclaira brièvement le sol soulignant une trace humide et claire. Conscient qu’il n’avait pas rêvé, sans bruit, il descendit de son lit, enfila ses baskets et se dirigea vers la porte extérieure qu’il ouvrit. Dehors tout ce qu’éclairait sa lampe était blanc de neige, un silence absolu régnait, quelques flocons voltigeaient encore dans le froid vif de la nuit. À partir de la porte, une trace de pas marquait la neige et se perdait dans la nuit. Valentin frissonna. Il referma doucement la porte et retourna se coucher. Il éteignit la lampe de son smartphone, consulta l’heure avant de le mettre au repos. Il était deux heures du matin. Après encore un quart d’heure de veille et de réflexions, la fatigue finit par l’emporter et il sombra dans le sommeil profond du sportif fatigué.

— Valentin ! Valentin !
La main de son ami Quentin le secouait gentiment à l’épaule.
— Valentin, c’est l’heure d’aller déjeuner.
Valentin bailla, s’étira, grogna, soupira.
— Hein, déjà ?
— Il est plus de huit heures ! Viens voir, dehors c’est tout blanc, il a neigé dans la nuit, mais maintenant le ciel est clair, il va faire très beau.
— Où est Jean-Claude ?
— Il est déjà dans le nouveau refuge en train de commander le petit déjeuner.
— J’arrive !
Le grand réfectoire, loin d’être aussi plein que la veille au soir, bruissait des conversations des randonneurs, les alpinistes étaient déjà tous sur leurs itinéraires d’altitude. Quelques noms revenaient souvent à la table voisine de la leur : ce soir refuge d’Entre deux eaux… nous à Péclet-Polset … refuge de Plan sec … la dent Parrachée. Étrangers à ce monde de spécialistes, les deux adolescents écoutaient ces bribes de récits dont ils ignoraient tout. Jean-Claude, le grand-père, semblait très à l’aise dans ce milieu montagnard.
— Tu connais tout ce dont ces gens parlent ? demanda Valentin.
— J’ai pas mal randonné en Vanoise quand l’étais plus jeune, je connais presque tous les refuges, mais à votre âge je n’en connaissais aucun. Ne soyez pas intimidés, mangez, prenez des forces, nous démarrons à neuf heures.
Au bout du réfectoire, le ton d’une conversation monta.
— …c’est toi qui dois l’avoir !
— J’ai fouillé et complètement vidé mon sac, elle n’y est pas, donc c’est forcément toi qui l’as.
— Je t’assures bien que non. Ne l’aurais-tu pas laissée sur ton lit ?
— Je vais voir.
Un homme d’une quarantaine d’année vêtu d’habits de montagne haut-de-gamme quitta la grande salle à manger et y revint alors que Jean-Claude, Quentin et Valentin se levaient de table. Semblant quelque peu paniqué l’homme demanda à la cantonade :
— Quelqu’un aurait-il vu une pochette en forte toile rouge zippée ? Elle est grande comme ça, ajouta-t-il an donnant les dimensions avec ses mains écartées, environ vingt centimètres sur quinze. C’est vraiment très important pour nous. Dedans il y a nos papiers, notre carte bancaire, pas mal d’argent liquide et nos clés de voiture et de maison. Personne ?
— Demandez au gardien, conseilla Jean-Claude, quand quelqu’un trouve un objet égaré, c’est à lui qu’il le remet.
L’homme remercia d’un signe de tête et se dirigea vers la cuisine.
— Allez mes deux montagnards, il faut que nous partions maintenant. Mettez vos anoraks, la première partie de la rando se fait à l’ombre.

Dehors la neige fondait, le sentier descendant, un peu glissant d’humidité, était bien marqué. Les adolescents, heureux, se remplissaient les poumons d’un air frais, léger et capiteux, des senteurs de pierre et d’herbe mouillée. Ils passèrent près d’un lac presque à sec dont l’eau noire contrastait avec les berges blanches de la neige de la nuit avant de longer les pentes herbeuses de la face sud de l’aiguille de la Vanoise. Après un quart d’heure de marche facile, Jean-Claude décréta une petite pause.
— Le soleil va sortir derrière la Réchasse, nous pouvons enlever les anoraks, mais tant que le chemin descend, on garde le pullover, d’accord ?
— Oui mon capitaine, s’amusa Valentin.
— Nous ne sommes pas pressés aujourd’hui, onze cents mètres de dénivelée négative jusqu’au village, alors à mi-parcours, j’ai prévu de faire l’ascension du Morion et de piqueniquer au sommet. Cela vous convient ?
— Oui mon colonel, renchérit Quentin.
— Encore quelques affirmations et je vais finir maréchal de France, rigola Jean-Claude.
Valentin, smartphone à la main, s’arrêtait de temps en temps pour satisfaire à sa passion de photographier des fleurs. Ici, poussant entre les pierres, de superbes doronics au jaune éclatant, là, les taches blanches des dryades à huit pétales, plus loin des hampes de fleurs de joubarbes montant de leurs artichauts, ici et là des campanules au bleu soutenu, il se régalait. Le petit groupe marchait depuis une heure quand Valentin aperçut, au-delà du ruisseau, la chaude couleur de gentianes pourprées. Suivi de Quentin, il s’aventura dans rocailles et les herbes folles. En passant sur les pierres émergées, ils parvinrent à traverser le ruisseau grossi par l’eau de fonte de la neige de la nuit. Valentin s’accroupit dans l’herbe pour capturer l’image de la fleur sur fond de ciel. Quentin qui descendait le long du ruisseau à la recherche d’autres sujets de photos pour son ami s’écria soudain :
— Mais c’est pas vrai ! Les gens sont dégueulasses, ils jettent n’importe quoi dans la nature !
— Qu’est-ce que tu as trouvé ?
— Une poche en plastique pleine de détritus alimentaires.
— En effet, appuya Valentin qui venait de le rejoindre. Et là-bas, ce truc rouge, qu’est-ce que c’est ?
— Je vais voir. Sautant habilement de pierre en roc, Quentin se dirigea sportivement vers l’objet indiqué par son ami.
— C’est une vieille sacoche en toile ! dit-il. Heu, elle n’a même pas l’air vieille en fait.
— Montre-moi. Oui, je dirais même qu’elle est presque neuve. C’est bizarre, elle est humide de la rosée du matin mais pas détrempée comme elle devrait l’être après le déluge d’hier soir. Que contient-elle ? continua Valentin pensant tout haut, voyons… Il dézippa la fermeture principale, sortit deux jeux de clés et un ticket de caisse du supermarché Sherpa de Pralognan. Rien d’autre… étrange vraiment… Viens rejoignons mon grand-père.
— Regarde Jean-Claude ce que Quentin vient de trouver au bord du ruisseau. Il y a des clés dedans.
— Près du ruisseau, à plus de dix mètres du chemin, ce ne peut pas être un objet perdu mais un objet jeté volontairement.
— D’accord avec toi, opina Valentin.
— Et puis si elle était simplement perdue, cette sacoche ne serait pas vide, remarqua pertinemment Quentin. Elle ne contient que des clés, deux trousseaux.
— Montre-moi ça. Celles-ci sont des clés de voiture si j’en crois le porte-clés Peugeot ; les autres sont peut-être des clés de maison ou d’appartement. Le propriétaire va être diablement ennuyé.
— Que va-t-on en faire ? demanda Quentin.
— Je crois que je sais à qui cette sacoche appartient, émit le grand-père. Vous avez entendu ce couple qui posait des questions ce matin au réfectoire du refuge quand on était sur le point de partir ? Non ? Ces gens cherchaient une pochette en forte toile rouge zippée contenant leurs papiers, carte bancaire et de l’argent liquide et des clés. Exactement comme celle-ci à part son contenu.
— Donc il s’agit bien d’une sacoche volée, déduisit Valentin.
— C’est fort probable. Dès que j’aurai du réseau, j’appellerai le gardien du refuge pour lui signaler votre trouvaille et lui dire que nous déposerons cette sacoche à la maison du tourisme en bas.
— Oui, je crois que c’est une bonne idée, approuva Valentin.
— J’ai également repéré un sac en plastique contenant des déchets alimentaires dans le ruisseau, qu’est-ce qu’il faut en faire ? demanda Quentin.
— Certaines personnes sont vraiment inconscientes. Si tout le monde faisait comme elles, la montagne serait une véritable poubelle, un énorme tas d’immondices. Cela me révolte ! Quand je pense que nous sommes dans un parc national ! Maintenant nous ne pouvons pas nous charger de tout ce qui traine dans la nature mais … Va récupérer ce sac Quentin et dépose-le au bord du chemin, les gardes du parc sauront ce qu’il faut en faire. Bon, continuons, nous allons bientôt trouver un sentier qui part à droite et qui monte au Morion, nous y serons dans une heure.
Sur le chemin montant, Valentin réfléchissait. Est-ce que cette histoire de sacoche volée avait un rapport avec ce qui s’était passé la nuit ? Et d’abord, est-ce que ces gens étaient dans leur dortoir ?
— Jean-Claude, est-ce que les personnes qui cherchaient leur sacoche ce matin dormaient dans la même pièce que nous ?
— Quand nous nous sommes couchés, les trois autres couchettes étaient occupées et les gens dormaient, et ce matin ils ont été plus matinaux que nous donc… donc je ne sais pas. Pourquoi ?
— Cette nuit vers deux heures du matin je pense que quelqu’un est entré dans notre dortoir, affirma-t-il finalement.
— Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
— J’ai d’abord senti comme un courant d’air puis j’ai cru distinguer une silhouette et enfin il m’a semblé entendre un très léger bruit de fermeture éclair et de froissement de tissu. Quand ensuite je me suis levé, j’ai vu que le sol était un peu mouillé vers la porte au niveau du premier lit. Je suis allé voir dehors et là j’ai vu qu’il neigeait, il y avait des traces de pas qui partaient vers la droite. Sur le moment, je n’ai pas accordé d’importance à tout cela.
— Hum, oui, dis-moi, y avait-il une ou plusieurs traces dans la neige ?
— Je dirais une sans pouvoir en jurer.
— De toute façon, pour l’instant nous ne pouvons rien faire de plus. Oublions et profitons de la randonnée.

— Encore une cinquantaine de mètres et nous serons au sommet. Pas trop fatigués les jeunes ?
— Non Jean-Claude, assura Quentin, vous avez le bon rythme pour marcher, enfin celui qui me convient.
— C’est le secret de l’endurance, vois-tu. Pas trop vite pour éviter de s’essouffler, pas trop lentement non plus car la marche lente est à mon avis plus fatigante que la marche normale et surtout, il faut se déplacer avec la plus grande régularité, pas d’à-coups, pas de sauts, pas de divagation. Par exemple, je pense être moins fatigué que Valentin qui va à droite à gauche pour ses photos de fleurs.
— Je suis en forme Jean-Claude, pas de problème. Le seul point un peu pénible, c’est les bretelles du sac à dos qui me scient les épaules et engourdissent mes mains.
— Il est probable qu’elles coupent un peu la circulation du sang, nous ferons un réglage fin à la pause. Nous arrivons, piquenique sur ce coin de pelouse alpine, ça vous va ?
— Regardez par-là ! fit Quentin en tendant le bras vers l’est, un chamois.
Il sortit son smartphone, activa l’appareil photo, zooma au maximum et captura l’image du bel animal qui se découpait sur fond de ciel, puis il examina sa photo.
— C’est bizarre, remarqua-t-il, ce chamois n’a pas la couleur marron, il est gris, comment cela se fait-il ?
Le grand-père ôta sa casquette et regarda l’ami de son petit-fils en souriant.
— Regarde mes cheveux, et tu comprendras pourquoi cet animal est gris. C’est un vieux chamois solitaire. Sinon, que pensez-vous du paysage ?
— Magnifique, Jean-Claude. Je vais te dire, ce sommet n’est pas très élevé…
— 2.298 mètres.
— Oui, je veux simplement dire que comme c’est un sommet intermédiaire, non seulement il permet d’avoir une jolie vue circulaire mais aussi de voir plus haut et plus bas. On distingue aussi bien le sommet de la Grande Casse qu’une partie du village.
— Exact. Quand on est au sommet d’une haute montagne, les autres paraissent écrasées, ce n’est pas le cas ici. Regardez le long de ce bois au pied du Grand Marchais, vous pouvez voir le camping du Bouquetin où nous allons passer la prochaine nuit. Il fait aussi gite pour randonneurs, j’y ai retenu trois couchages.
— Super. Tu me montres tes photos de fleurs Val ?
— Prends mon appareil.
— Tiens, voici le mien, moi j’ai surtout fait des photos de montagnes. En fait je fais une sorte de reportage pour montrer à mes parents.
Feuilletant le dossier des images prises par Quentin, Valentin, outre les superbes paysages enregistrés, observa longuement le cliché dans la cabine du téléphérique, la photo prise par son grand-père sur le passage du lac de vaches et une dernière image capturée par son ami dans la grande salle à manger du refuge. « Après tout, c’est normal… » murmura-t-il pour lui-même.
— Vingt minutes avant l’arrivée, nous ferons un petit détour pour nous rafraichir.
— Tu connais une buvette ? supposa Valentin.
— Ma buvette s’appelle la cascade de la Fraiche. Vous verrez, c’est une chute d’eau qui mérite bien son nom, la vapeur qu’elle produit en tombant est diablement rafraichissante. Juste à côté, il y a une via ferrata, en fait non, pas une via ferrata proprement dite mais une série de tyroliennes vraiment impressionnantes.
— Voilà qui plairait beaucoup à notre ami Florian.
— Au fait, nous n’avons pas de nouvelles des amis, il y aura du réseau au camping ? demanda Quentin. Oui, je suis bête, il y en avait hier au départ. D’ailleurs ce soir il faut que je recharge mon téléphone.
— Pareil, répliqua Valentin, il ne me reste que quinze pour cent d’énergie.
— Mais tu as encore assez d’énergie dans les jambes pour le reste de la randonnée, taquina son grand-père, allez, donnez-moi vos déchets et en route.

Après un petit détour pour admirer la superbe cascade et les estivants téméraires sur les tyroliennes, le chemin emprunté par les randonneurs passait dans le camping que le grand-père avait choisi comme étape. Il était à peine seize heures. Jean-Claude, Quentin et Valentin prirent possession de la partie du gite qui leur était réservée.
— Quel est le programme maintenant ? demanda Quentin.
— Pour vous deux, quartier libre. Moi je vais jusqu’à l’office du tourisme remettre la sacoche que vous avez trouvée. J’en profiterai pour téléphoner au gardien du refuge du col de la Vanoise et aussi acheter quelques provisions pour demain. À tout à l’heure.
— OK comme ça, approuva Valentin. Moi, je vais commencer par charger mon téléphone, je n’ai plus du tout de batterie maintenant. Viens Quentin, allons faire le tour du camping.
— D’ac, j’en profite pour continuer mon reportage photo.

Le camp était animé d’une ambiance de vacances sportives. Les nouveaux arrivants, habitués des courses en montagnes, installaient leurs tentes sur les plateformes herbeuses. Certains se reconnaissaient, s’interpelaient, se donnaient des nouvelles et présentaient leurs projets d’ascensions. Aux balançoires, des enfants jouaient à qui monterait le plus haut. Sur une butte en herbe et rochers, d’autres, armés d’épées en bois, jouaient à la défense du château. Le tour fini, Quentin proposa :
— Allons en ville à la rencontre de ton grand-père, nous l’aiderons à porter les provisions.
— C’est une gentille attention de ta part.
C’est au niveau du pont sur le doron de Pralognan que les deux adolescents rejoignirent Jean-Claude.
— Ah, vous voilà, très bien, cela va m’éviter d’aller à votre recherche dans le camping ou le bois d’à-côté. Que penseriez-vous d’un bon plat de spaghetti bolognaise dans lieu sympathique quand j’aurai déposé nos provisions ?
— Ce serait super ! approuva Quentin.

Quand, après avoir repris des forces dans un petit restaurant du village, ils furent de retour au camping, la première action de Valentin fut de vouloir libérer la prise électrique du chargeur de son smartphone mais celle-ci était déjà libre. Intrigué, il demanda :
— Quelqu’un a débranché mon téléphone ? Où l’avez-vous rangé ?
Quentin secoua négativement la tête tandis que le grand-père levait des sourcils étonnés.
— Ce n’est pas vous ?
Devant la double dénégation silencieuse, Valentin tenta une explication.
— Dis-moi Jean-Claude, y-a-t-il d’autres personnes avec nous dans ce gite ?
— Je crois qu’il y a deux autres chambres, mais j’ignore si elles sont occupées. Tu penses que quelqu’un aurait pu se tromper de logement et récupérer ton appareil comme si c’était le sien ?
— À la réflexion, une double erreur comme ça est fort improbable, tu ne penses pas ?
— Je vais demander au gérant s’il sait quelque chose. C’est quel modèle ton téléphone déjà ?
— Un iPhone 6s, celui que Charly a dû me fournir après avoir mis mon ancien hors d’usage.
Jean-Claude fit un rapide aller-retour jusqu’à l’accueil. Quand il revint, sa mine était encore plus soucieuse.
— Le gérant m’a dit que les autres chambres seront occupées cette nuit mais que les gens ne sont pas encore arrivés. Où est ton portefeuille Valentin ?
— Je l’ai sur moi, je le garde tout le temps attaché à ma ceinture.
— Et toi Quentin ?
— Dans la poche supérieure de mon sac à dos, sur ma couchette.
— Peux-tu vérifier tout de suite ?
Quentin calmement saisit son bagage, fouilla la poche en question puis fébrilement vida tout le contenu du sac.
— Il n’y est plus ! s’exclama-t-il d’un air catastrophé.
— Conclusion, dit le grand-père, une ride soucieuse lui barrant le front, notre chambre a été visitée pendant notre absence. Que contenait ton portefeuille mon garçon ?
— Le papier de l’autorisation de mes parents, ma carte d’identité et cinquante euros pour aider aux achats de provisions, répondit Quentin, la mine chiffonnée.
— Tout à l’heure, vous avez quitté la chambre après moi, avez-vous pensé à verrouiller la porte ?
Les deux adolescents se regardèrent avec un air navré en secouant négativement la tête.
— Tout ceci est très ennuyeux… Mais il ne faut pas gâcher notre excursion pour autant. Demain matin je me rendrai au siège de la police municipale pour faire une déclaration de vol et obtenir une attestation pour nos assurances. Valentin, est-ce que tu as fait une sauvegarde du contenu de ton smartphone ?
— Oui, sur le Cloud, hier avant de partir.
— Donc le mal pourra être réparé quand l’assurance aura remboursé.
— J’ai tout de même perdu toutes mes dernières photos de fleurs.
— Oui c’est sûr, mais nous n’y pouvons malheureusement rien. Pour toi Quentin, ça va être plus difficile mais écoute : il y a quelques années, j’étais à Madrid avec mon épouse. Nous nous promenions sur la très fréquentée place Puerta del Sol. Isabelle ma femme s’est fait bousculer par un individu qui s’est excusé sans s’arrêter. Quelques minutes plus tard, elle s’est aperçue que le sac qu’elle portait en bandoulière était ouvert et que son portefeuille avait disparu. Au moment de la bousculade, un autre individu avait profité du détournement d’attention créé par son complice pour agir et voler. Mais ce n’est pas là que je veux en venir. Il y avait une antenne de la police espagnole sur la place. Nous avons porté plainte, bien entendu. Le policier qui a pris notre déposition nous a dit que ce qui intéresse les voleurs, c’est l’argent et la carte bancaire, le reste, ils s’en débarrassent très rapidement dans un égout ou une poubelle publique. Donc allons visiter les poubelles du camping. Mais que l’on retrouve ou non ton portefeuille, ne prend pas trop de souci, c’était très gentil de vouloir participer aux frais, mais je t’invite. Allons visiter les poubelles.