VALENTIN ET COMPAGNIE

13. RENTRÉE

Florian aborda Valentin dès qu'ils furent sortis dans la vaste cour pour la première récréation de la journée et de l'année scolaire.
— Alors Val, ton impression sur la classe ?
— La première bonne nouvelle c'est que le principal ait tenu parole en inscrivant Margot en quatrième C et la seconde c'est que nous y soyons tous, donc à part la bande à Tony, tout est top.
— Oui, tu as vu comme Margot était rayonnante ce matin ? Regarde-la là-bas avec les copines et Olivier. Tu ne trouves pas qu'elle a embelli ?
— Elle était déjà plutôt jolie de figure mais son air revêche gâchait tout. Avec son sourire retrouvé et ses cheveux plus longs, elle est vraiment agréable à voir.
— Ce n'est pas Olivier qui va dire le contraire, non mais regarde-le, il la dévore des yeux !
— Il doit être amoureux.
— Je le crois aussi. Qu'est-ce que tu penses du nouveau ?
— Charles Henri Dubois de la Capelle ? Ouf, j'aurais dû mieux respirer avant, il faut prendre de l'élan pour dire son nom. Je n'en pense pas grand-chose. Où est-il ? Ah, oui, vers le deuxième peuplier, il est avec le Thénardier, Clébar, la grosse Morgane, et Romuald Michaud. On dirait qu'il a déjà choisi son camp.
— Es-tu au courant de l'affaire du ponton ?
— Oui, Quentin m'a raconté, il en rigolait encore. Vous ne vous êtes pas fait un ami.
— Effectivement, donc cela ne m'étonne pas qu'il fricote déjà avec la bande à Tony Thénard. Je vais d'urgence le mettre dans ma boite à oubli.
— Oui, hum, pas si sûr qu'il te laisse faire, il vient de nous désigner du doigt, ils regardent tous vers nous.
— J'ai vu. Je me demande pourquoi ses parents l'ont inscrit dans notre petit collège. D'habitude les gens de la « haute » mettent plutôt leur progéniture dans de prestigieuses institutions privées.
— Peut-être qu'ils veulent faire « peuple ».
— Ouais. Allez viens Flo, je n'ai pas envie de gâcher ma journée avec ceux-là. Rejoignons plutôt nos copains.
— Attends, regarde Val, la jumelle là bas, je ne sais pas laquelle c'est d'ailleurs car elle n'ont plus leurs rubans, elle a rejoint le groupe de Tony. Je crois qu'elle fait du charme au nouveau.
— Alors c'est probablement Océane, c'est bien son style. Tu es jaloux ?
— Bah, à supposer qu'elle m'intéresse, ce qui n'est pas le cas, il resterait toujours Marine sa sœur copie conforme.
— Oui, elle est plus effacée. Étonnant pour de vraies jumelles.
— Ça va être dur de les distinguer maintenant qu'elles ne mettent plus leurs rubans dans les cheveux.
— Tu te rappelles notre discussion de cet été sous la tente ?
— Oui, tu m'as expliqué que Océane avait essayé de te draguer.
— C'est ça. Mais ce que je ne t'ai pas dit, c'est ce que j'ai appris au sujet d'elles deux. Sais-tu qu'elles échangeaient souvent leurs rubans et leurs places en classe ?
— Donc en fait on ne peut jamais vraiment savoir à qui on s'adresse.
— C'est ça, mais j'ai quand même fini par trouver une différence physique entre elles, une différence minime et difficile à voir avec leurs cheveux longs.
— Si je comprends bien, c'est quelque chose qui est caché par les cheveux, donc… une tache sur la peau dans le cou peut-être ? hasarda Florian.
— Non, à la différence d'Océane, Marine a le lobe de son oreille gauche légèrement aplati. C'est difficile à voir quand on ne le sait pas mais tu as remarqué que, comme beaucoup de filles aux cheveux longs, elles ont toutes les deux un tic qui consiste à renvoyer les cheveux vers l'arrière d'un mouvement de tête. Il n'y a qu'à ce moment là qu'on peut être certain de leur véritable identité . Vérifie bien avant de tenter ta chance. Allez, je rejoins les autres.
Valentin se dirigea vers le groupe de ses autres amis tandis que Florian, après un temps d'hésitation, alla à la rencontre de celle qu'il supposait être Marine.
— Bonjour toi, tu as passé de bonnes vacances ? Vous êtes allées où ?
— Salut Marlin, ça t'intéresse ?
— Marlin ! Tu n'aimes pas mon prénom ?
— Je t’appelle par ton prénom si tu trouves le mien, dit-elle avec un mouvement de tête pour rejeter en arrière les cheveux qui lui venaient sur le visage. Avant que les cheveux retombent, pendant une demi-seconde, Florian eut le temps d'entrevoir l'oreille gauche de la fille, oreille marquée par un léger à-plat de l'ourlet supérieur.
— Attends, pour te reconnaître à coup sûr, je sais comment faire. Il faut que je te regarde bien dans les yeux, sourit Florian en fixant les siens sur les prunelles de sa vis-à-vis.
Celle-ci accepta le duel des regards d'un air amusé.
— Tu es Marine, tes yeux ne peuvent pas me tromper !
Le sourire moqueur de la fille se mua en une expression où se mêlaient l'interrogation, l'incrédulité et une certaine admiration.
— Pas de bol, se reprit-elle, Marine c'est ma sœur. Tente ta chance une autre fois. Allez, salut Marlin, dit la fille avec un rire haut perché en pirouettant pour rejoindre le groupe de Tony au milieu duquel paradait sa jumelle.
Florian la regarda s'éloigner avec un début de navrance dans le cœur tant était grand le pouvoir de séduction de cette fille.
— Alors Flo, tu t'es pris un râteau ? dit une voix moqueuse derrière lui.
— Quentin ! Re-salut mon vieux. Non, je ne crois pas, se reprit-il, au contraire, j'ai l'impression que je viens de marquer des points.
— C'était laquelle ?
— Marine.
— Moi je n'aimerais pas sortir avec une fille à propos de qui je me demanderais toujours si c'est la bonne. J'aurais l'impression…
— De te faire doubler, coupa Florian en rigolant. Deux pour le prix d'une, c'est une bonne affaire, non ?
— Je crois qu'elle aussi préfère la bande à Tony et Clébar. As-tu remarqué que Gilles est toujours avec Lucie, Bouboule avec Eva et que Olivier tourne autour de Margot ?
— On en parlait il y a un instant avec Val, ça crève les yeux. Et toi tu vises qui ?
— Bof, personne en particulier. Dis-moi, Valentin, il est avec Mathilde ou avec Pauline ?
— Avec personne, il aime bien tout le monde et tout le monde dans le groupe l'aime bien.
— Il n'aime pas une fille en particulier ?
— Écoute, fin juillet, quand nous étions en montagne ensemble sous la tente, il m'a confié que Océane a essayé de le draguer l'hiver dernier.
— Et ça n'a pas marché ?
— Au début si, mais elle a fait la bêtise de s'intéresser à d'autres types quand ils étaient en train de prendre un pot en ville à la brasserie des cinés. Valentin qui est si généreux, si sympa, si partageur n'a pas supporté de la partager, il a immédiatement coupé les ponts et Océane en est encore toute vexée. Regarde-là frayer avec nos ennemis et le nouveau.
— Marine est peut-être comme sa sœur !
— Non, je ne crois pas.
— Fais quand même attention mon vieux. Moi je serais plutôt comme Val, je ne partage pas. Quand je sortirais avec une fille, je voudrais l'exclusivité. Allez viens, rejoignons les autres.

Les amis avaient retrouvé leur banc près des peupliers que séparaient des bandes de pelouses soigneusement tondues pour la rentrée. Valentin, Florian et Quentin étaient assis sur l'étroit dossier, pieds sur l'assise normale face à Mathilde, Pauline et Amandine allongées dans l'herbe rase, coudes au sol, menton entre les mains. Ils discutaient vacances, emploi du temps, professeurs. Un peu à l'écart, Margot serrait précieusement son téléphone, cadeau d'anniversaire de son père, témoin du début de réussite professionnelle de ce dernier. Près d'elle, Olivier lui enseignait les subtilités de l'usage de l'appareil, lui montrait comment ajouter un nouveau contact, comment joindre une photo à un message, la façon d'utiliser le clavier virtuel pour les accents. Un peu plus loin, Bouboule et Eva expliquaient à Gilles et Lucie les évènements ayant marqué leurs vacances à Châtel sans tarir d'éloges à propos de l'action décisive de Florian et Valentin.
Après un rapide coup d’œil vers le groupe de Tony, Valentin prit la parole.
— Écoutez-moi vous tous, rapprochez-vous les amis. Cet après-midi, c'est la rentrée des troisièmes et nos cours ne commencent que demain, donc nous sommes libres. Je propose que nous allions nous baigner au lac, l'eau est encore chaude et c'est probablement l'une des dernières fois que nous pourrons y aller cette année, qu'en pensez-vous ? Qui est pour ?
Dix bras se levèrent sans hésiter.
— Et toi Margot, tu n'as pas envie d'aller nager ?
— C'est que… je n'ai pas encore de maillot…
— Tu peux nager sans ! s'amusa Florian immédiatement foudroyé du regard par Olivier.
— Je plaisantais Margot, excuse-moi, comprit-il.
— Je suis plus grande que toi mais j'ai encore mon « une pièce » de l'an dernier, il devrait t'aller, si tu veux, je te le donne, d'accord ?
— Tu l'as sur toi ? insista lourdement Florian.
Pauline haussa les épaules tandis qu'un sourire radieux illuminait le visage de Margot qui, gorge serrée par par l'émotion, acquiesça de la tête.
— On va à la plage municipale ? Elle est gratuite maintenant, proposa Bouboule.
— Je préfère que nous allions au ponton que certains ici connaissent, nous y seront plus au calme…
— Si Charles Hareng du Ponton des Demeurés et sa nouvelle bande nous laissent tranquilles, remarqua Amandine. Charles le noble na va pas résister à l'envie de les inviter pour les éblouir de la réussite de son père.
— Pas d'inquiétude ma belle, nous saurons comment les traiter s'ils nous cherchent, rassura Florian.
— Au cas où. Tactiquement, il vaudrait mieux que nous occupions les lieux avant eux si toutefois ils viennent. Il est toujours plus facile de défendre une place que de l'envahir. Deux heures, est-ce que cela convient à tout le monde ? continua Valentin.
— Je serai en retard, comme d'habitude, fit remarquer Pauline, j'habite loin.
— Pas de problème, on te gardera un peu d'eau, s'amusa Quentin.
Pauline haussa encore les épaules en secouant la tête pour souligner la pauvreté de la remarque. Margot de nouveau leva la main.
— Je n'ai pas de vélo, s'excusa-t-elle.
— Je passerai chez toi pour te donner le maillot de bain et nous irons au lac sur mon VTC. Tu monteras sur le porte-bagages.
— Quand est-ce que vous allez arrêter d'être aussi gentils avec moi, tenta d'articuler Margot au bord des larmes.
— Jamais ! dit Olivier, n'est-ce pas vous autres ?
Tous opinèrent de la tête et de la voix.
— Et il est interdit de pleurer ! continua Olivier.
— Moi je ne peux jamais rien donner…
— Mais si ! intervint Valentin. Tu n'as pas proposé de me prêter le livre de tes vacances à… à …
— Pisseleux. Oui, je te l'apporte dès cet après midi se rassura Margot.
— Tu vois, c'est ça un groupe d'amis, on prête, on donne, on échange…
— Dis-donc Margot, Pisseleux, ça existe un nom de lieu pareil ? s'amusa encore Quentin.
— Ben oui, et ça n'a pas le sens que tu crois. Mon oncle m'a donné l'explication. Il y a une grande forêt près du village et dans le temps, dans cette forêt il y avait des loups. Le nom viendrait de l'endroit où passaient les loups, des leus en langage picard : « piste leus » la piste des loups qui serait devenu Pisseleux. Deuxième explication possible, il y a dans le hameau un endroit ou une rivière prend sa source et les prés des alentours sont très humides, on dit qu'il « pissent l'eau ». Il y a même une troisième explication : il paraît qu'il y a longtemps le seigneur du coin était tellement cruel qu'on disait de lui qu'il était « pis que leu », pire que le loup.
— Alors Quentin, elle t'en bouche un coin cette fois, notre Margot, hein ? appuya Olivier.
— Là je dois reconnaître…
— Bon les amis, dès que possible au ponton. Florian, Quentin, Amandine, Mathilde et Pauline connaissent l'endroit, les autres mettez-vous d'accord avec eux.
— Regarde Val, regardez tous, le Thénardier et ses sbires nous matent en se marrant, fit observer Bouboule.
— S'ils espèrent nous impressionner ! Battons-les à leur propre jeu. Savez-vous rire sur commande ?
— Moi oui, s'amusa Florian, ah ah ah ah ah, éclata-t-il en désignant Tony Thénar du doigt, ah ah ah ah,ah.
Rien n'est plus contagieux que le rire et bientôt toute la petite troupe se trémoussa d'une joie sonore.
— Continuez, désignez-les du bras, ajouta Florian bon tacticien, ah ah ah ah ah !
Peu à peu un fou-rire gagna une bonne partie des élèves de la cour, remplissant de gêne la bande à Tony.
— Ça marche, ils s'en vont, gloussa Bouboule, bien joué Florian.
— Je sens que cette année on va bien se marrer, conclut Quentin ravi.