VALENTIN ET COMPAGNIE

14. BAIGNADE

Il était près de quatorze heures, Valentin pédalait calmement sur le chemin du bord du lac, remerciait d'un sourire ou d'un geste de la main les promeneurs qui faisaient l'effort de se ranger pour le laisser passer, ce qui en retour lui attirait la sympathie de ceux-ci.
Pourquoi avait-il proposé ce rendez-vous au ponton au lieu de la plage ? Peut-être en réaction à l'attitude du nouveau venu dans la classe, Charles-Henri de la Particule qui avait vite compris l'animosité de Tony et de sa bande envers lui et s'était en réaction rapproché d'eux. Valentin eut un sourire de joie rétrospective en pensant à la façon dont il avait contré de père dans le bureau de la gendarmerie. « Le temps des privilèges est fini ? En fait, pas vraiment ! » se dit-il en regardant les splendides villas bordant le chemin du tour du lac. « Il vaut sûrement mieux vivre ici qu'à Pisseleux comme l'oncle de Margot ou dans le bled de Haute-Marne où Lucie à passé ses vacances. ».

Arrivé au niveau du ponton désert, Valentin jeta un regard rapide vers la villa de son nouvel adversaire. Personne non plus mais les fenêtres étaient ouvertes, signe que l'endroit était habité. « Apparemment, je suis le premier arrivé. » Il appuya son VTT contre le tronc de l'aulne voisin qui plongeait la moitié de ses racines dans le sable caillouteux du bord du lac, s'avança sur les planches de bois rendues grises par le temps. L'eau d'abord d'un léger jaune transparent, passait au bleu turquoise puis à l'émeraude profond à mesure qu'il avançait vers le bout du ponton. Il se déchaussa, ôta son tee-shirt qui, au contraire de ceux de ses amis, ne présentait aucune marque d'appartenance ni aucune publicité, mit le vêtement dans le petit sac à dos qu'il emmenait toujours avec lui et s'assit sur le dernière planche, pieds dans l'eau encore tiède en cette fin d'été.

« Ah, il est là » entendit-il venant du chemin.
« C'est la voix de Mathilde » estima Valentin en pivotant sur les fesses pour vérifier. Il agita le bras en signe de reconnaissance. Mathilde, Gilles et Lucie, Pascal et Eva descendirent de leurs vélos. Mathilde, Gilles et Pascal possédaient chacun un VTT mais Eva et Lucie roulaient sur d'anciens vélos de femmes à tubulure fine, pneus étroits et guidons en accolade. « Les vélos de leurs mères » pensa Valentin. Le petit groupe allait s'engager sur le ponton quand un second composé d'Olivier, Florian, Amandine et Quentin arriva. Valentin se leva et vint à la rencontre de ses amis.
— On a vraiment le droit de s'installer sur le ponton ? questionna Eva.
— Absolument. La gendarmerie l'a confirmé devant celui qui se croyait propriétaire, le panneau et l'inscription « privé » sont sans valeur, soyez sans crainte, venez vous installer. Qui plonge le premier ?
— Moi ! dirent ensemble Florian et Quentin.
— Délicieuse ! affirma Florian après un superbe plongeon carpé, venez-tous !
Bientôt, toute l'équipe, hormis Olivier, fut dans le bain, plongeant, sautant, nageant, s'éclaboussant. Sous le regard admiratif d'Amandine, Florian exécutait des plongeons en canard techniquement parfaits, montant haut à la verticale ses jambes jointes et tendues dont le poids hors de l'eau l'enfonçait sans à-coup dans la limpidité du lac. Deux brasses supplémentaires le propulsaient au fond pour remonter ensuite en fusée, les mains pleines de cailloux dorés. Gilles expliquait à Lucie qui nageait mieux que lui les mouvements de jambes des brasseurs de compétition, Pascal montrait à Eva sa technique de planche en croix et Mathilde, à l'imitation de Valentin, s'essayait au dos crawlé.
— Olivier, tu ne nages pas avec nous ? cria Quentin.
— Si, je vais venir, j'attends simplement les deux dernières. Eh, regardez par là, ajouta-t-il en tendant le bras vers la rive, regardez qui vient là, sur la pelouse de la grosse villa !
Autour de Charles-Henri, fils du propriétaire, se pressaient Tony Thénar, Clément Barilla, Romuald Michaud, Morgane Joly, les jumelles Marine et Océane Daucy ainsi que Benjamin Marchand qui s'affichait pour la première fois dans cette bande.
— Qu'est-ce qu'on fait Val ? s'inquiéta Gilles.
— Rien de spécial, restons dans l'eau, continuons à nager, ils ont le droit de venir, attendons de connaître leurs intentions, répondit Valentin.
Les amis continuèrent leurs évolutions tout en se rapprochant du ponton au cas où. Les nouveaux arrivants s'avancèrent sur la jetée de bois et s'établirent à mi-chemin puisque le bout était déjà pris par les affaires du groupe de Valentin. Olivier, bras croisés, campé sur ses jambes écartées, défiait du regard Tony et ses acolytes.
— Vous venez nager avec nous, c'est sympa ça, lança Valentin.
Personne ne prit la peine de répondre à ce qu'ils considéraient comme un défi. Un bruit de frein de vélo détourna l'attention de tout le monde.
— Tiens, voilà gros nibards qui rapplique avec la pute, rigola Clément.
— Oulà ! fit Quentin, ça va mal se passer.
Il ne croyait pas être si bon prophète, le sang d'Olivier ne fit qu'un tour, il fonça tête baissée, bouscula au passage Tony et Charles-Henri et percuta la poitrine de Clébar qui suffoqué tituba sur les planches. Olivier accentua le déséquilibre de l'autre par un swing du droit à l'épaule de son adversaire lequel ne put reprendre ses appuis et chuta massivement dans l'eau profonde de deux mètres à cet endroit. Sans prendre le temps d'ôter son tee-shirt, Olivier sauta sur son adversaire et commença à le marteler de coups de poings heureusement un peu amortis par la résistance de l'eau. Quentin sprinta vers les combattants, saisit Olivier à bras le corps, tentant de lui immobiliser les bras et de le tirer en arrière.
— Arrête, arrête Olive, il en a eu assez comme ça !
Clément, semi-inconscient flottait entre deux eaux sous les yeux de ceux de sa bande qui pétrifiés ne prenaient aucune initiative. Florian qui se trouvait de l'autre côté du ponton inspira une grosse goulée d'air et, passant sous l'ouvrage en bois, nagea énergiquement vers Clément. Toujours sous l'eau, il se positionna derrière lui, glissa son bras gauche sous celui de l'autre, exécuta un vigoureux ciseau de jambes pour remonter et nagea vers la rive en remorquant son pourtant adversaire.
— Lâche moi, toi, lâche moi j'te dis ! J'ai pas besoin de toi ! éructa Clément qui avait repris sa pleine conscience au moment ou Florian reprenait pied, je peux me débrouiller tout seul ! Et ton copain ne me fait pas peur.
Olivier était remonté sur le ponton, mine fermée, prêt à en découdre avec n'importe qui.
— Qu'est-ce qui lui a prit à celui-là ? s'étonna Charles-Henri.
— Il a insulté nos amies et ça nous ne le tolérons jamais, expliqua Quentin, qu'on se le dise !
— Mais c'est vrai que c'est une pute, déclara Océane en désignant Margot du menton, c'est un quatrième qui nous l'a dit.
Elle regarda Olivier avec un air de défi méprisant, certaine qu'elle était qu'aucun garçon n'oserait la frapper. Pauline s'avança et balança une gifle monumentale sur le haut de la joue gauche de la fille qui hurla puis éclata en sanglots.
— Tu as encore d'autres commérages aussi nazes à colporter ? demanda calmement Pauline en mettant le bras sur les épaules de sa protégée. Et avis aux autres filles, la boite à gifles n'est pas vide !
— Elle t'a aplati l'oreille gauche, se moqua cruellement Florian, comme ça tu ressembleras encore plus à ta sœur !
Valentin, discret jusque là, était remonté sur le ponton. Il désigna Charles-Henri du doigt :
— Tu vois, toi, si l'autre jour tu avais simplement et gentiment accepté le partage des lieux comme je te le proposais, nous n'en serions pas là. Et toi, enchaîna-t-il en pointant Benjamin Marchand, à mon avis, tu n'as pas bien choisi ton camp, comme les jumelles, mais c'est comme vous voulez.
— Venez, on retourne à la villa, décida Charles-Henri en s'adressant à Tony, laissons ces minables prétentieux barboter, je vous paie à boire.
— Non Flo, non Olive, non Quentin, dit Valentin à ses amis qui s'avançaient pour à nouveau en découdre, ça suffit comme ça. Défendons-nous mais n'attaquons pas.
— Salut Charles-Hareng, se moqua Amandine, salut les boloss !
— Calme, Amandine, nous sommes venus là pour une bonne séance de baignade, tempéra Mathilde. Tu sais nager Margot ?
— Un peu, pas bien, répondit-elle, mais j'ai un beau maillot maintenant.
— Alors tout va bien. Olivier est un excellent nageur, il va se faire un plaisir de t'aider à devenir une vraie sirène.
— Allez tout le monde à l'eau, s'écria Gilles en s'élançant pour un salto avant qui s'acheva par un retentissant plat du dos dans un énorme éclat de rire.