« Veux-tu que je te serve le dessert dehors au jardin, Valentin ? »
— Avec plaisir, Za. Peux-tu attendre un peu ? J'ai vu mon ami Florian au port, je lui ai demandé de passer vers quatorze heures, nous partagerons ma part de tarte aux abricots.
— Mais bien sûr ! Il n'est pas parti en vacances ton copain ?
— Parti et revenu avant de repartir. Il vient de rentrer de la Côte d'Azur et va repartir en montagne avec ses parents en camping-car.
— Ah, le camping-car, c'était mon rêve ! Ça te plairait à toi ?
— Je crois que oui. Tiens, voilà Flo, toujours à l'heure.
— Bonjour madame Valmont, bonjour monsieur Valmont, re-salut, toi.
— Un morceau de tarte, ça te plairait Florian ?
— Oh oui, vos tartes sont toujours délicieuses, madame Valmont.
— Tu es bien poli. Merci pour le compliment. Installez vous tous les deux, j'apporte vos parts.
— Alors, as-tu demandé à tes grands-parents si tu pouvais venir avec nous en montagne ?
— Pas avant de savoir si tes parents sont d'accord pour m'inviter.
— Ils le sont, avec plaisir même !
— Alors je demande : Za, Yanco ! Les parents de Florian m'invitent à partir quelques jours en camping-car avec eux, seriez-vous d'accord ?
— Après ce que je viens de te dire, je peux difficilement refuser, qu'en penses-tu Jean-Claude ?
— Les parents de Florian sont des gens de confiance, pour quelques jours, nous pouvons dire oui.
— Super ! Merci Za, merci Yanco.
— Quand partez-vous ? questionna Jean-Claude le grand-père.
— Dans deux jours, lundi matin.
— Destination ?
— La montagne mais personne n'a encore décidé exactement, même pas mon père.
— Châtel en Haute Savoie, ce serait bien, non ? suggéra Valentin.
— Pourquoi pas. Je vais le proposer à mes parents. Il y a sûrement de jolis sommets à gravir dans le Chablais.
— As-tu des nouvelles des copains ? demanda Valentin changeant de sujet.
— J'ai reçu un message d'Olivier. Ses parents ont loué un mobilhome dans les Landes. Il va bien et s'initie au surf. J'aimerais bien essayer moi aussi.
— Toi, dès qu'un sport pointe le bout de nez, tu es partant !
— Ben oui, j'suis comme ça ! Je sais aussi qu'Amandine fait un stage de voile en Bretagne.
— Elle aurait aussi bien pu le faire ici, ce n'est pas l'eau qui manque.
— Le vent peut-être...
— De mon côté je sais que Gilles est avec ses parents en Vendée et j'ai reçu une lettre de Margot. Elle est chez ses grands-parents maternels dans un bled improbable de Picardie.
— Improbable, ça veut dire quoi ?
— Dont personne n'a entendu parler, en tout cas pas nous. Elle me dit qu'elle a hâte de nous revoir et nous fait la bise à tous.
— Elle est sympa maintenant cette fille. Moi je n'ai pas d'autres nouvelles.
— Moi si, reprit Valentin. J'ai reçu une carte signée de Bouboule et Eva.
— D'où vient-elle ?
— De Châtel.
— Dis donc Val, tu ne m'as pas un peu manipulé il y a un instant ?
— À peine, il faut simplement savoir présenter les choses, je ne commande pas à tes parents !
— Qu'est-ce qu'il deviennent ces deux-là ?
— Ils sont en colonie de vacances. Tiens voici leur carte.
— ... il se passe de drôles de choses... que veulent-t-ils dire ?
— Justement, je veux en discuter avec toi. Tu connais Bouboule, les sens toujours en éveil sous un air un peu ahuri. Il a repéré quelque chose qui lui pose question et n'a pas la réponse.
— C'est ça le problème dont tu parlais ?
— Exactement.
— Tel que je te connais, tu as déjà réfléchi à une solution, non ?
— Un peu. La première chose à faire, c'est de lui signaler que je suis de retour. Je lui envoie tout de suite un SMS.
Valentin sortit son smartphone et tapa : suis rentré Val.
— Attends, n'envoie pas tout de suite. Visiblement Bouboule se méfie de tout : courrier, e-mail, téléphone. Un SMS en clair pourrait être également compromettant pour lui. Il faut lui proposer un code secret pour correspondre sans risque s'il venait à être repéré, code qui serait facilement utilisable sur le vieux téléphone d'Eva si on venait à confisquer celui de Bouboule.
— Pas bête !
— Ben voyons.
— Mais il faut qu'il trouve lui même la clé du code sans lui envoyer le mode d'emploi, sinon ça ne sert à rien et c'est même dangereux si une personne mal intentionnée découvre le truc. Attends, je vais lui proposer le « +1 » simplement en changeant ma signature. Au lieu de Val, je signe Wbm.
— Comprends pas.
— La lettre qui suit le v est w, celle qui suit le a c'est b et pour le l, c'est m. Bouboule saura que le message vient de moi puisqu'il a mon numéro et il comprendra vite le pourquoi de cette signature inattendue.
— Tu es sûr de ça ?
— Je prends le pari. J'envoie le message.
Quelques minutes après le glissement annonçant l'envoi du SMS, le jingle du smartphone de Valentin retentit.
— C'est lui, voyons ce qu'il dit : PL dpnqsjt Ccm. Il est vif d'esprit notre Bouboule.
— Traduction ?
— OK Compris Bbl. Bbl donc Bouboule, tu vois, c'est facile quand on a pigé la clé et sacrément difficile pour les non initiés. On code en +1 et on décode en -1. Tu crois que tes parents accepteront Châtel comme destination ?
— Pas de raison qu'ils refusent, le village est plein d'activités de loisirs en été et les montagnes sont de toutes façons intéressantes.
— Ce serait bien. Nous pourrions contacter directement Bouboule et Eva et les aider si nous le pouvons. En attendant de les voir, essayons de comprendre de quoi il s'agit. Je lui envoie un autre message.
Valentin tapota prestement : qc wpvt ? (pb vous ?) La réponse arriva presque aussitôt ; opo npop. (non mono)
— Je m'en doutais. Il retapa : gspoujfsf ? (frontière?) Et reçu la réponse : zft tiju. (yes shit)
— Bon, tu m'expliques maintenant ? s'impatienta Florian.
— J'avais dans l'idée que Bouboule avait repéré un trafic mais je ne savais ni le quoi ni le comment. Maintenant nous savons qu'il s'agit d'un trafic de drogue transfrontière car Châtel est tout près de Morgins en Suisse. Un mono fait passer ou récupère de la drogue dans un pays et lui fait passer la frontière en se servant des enfants de la colonie de vacances. Bouboule a assisté comme nous à la conférence des gendarmes sur les drogues, il sait reconnaître la résine de cannabis, le shit, à son aspect couleur chocolat et à son odeur douceâtre. J'essaie de lui faire préciser certaines données.
Valentin tapa sur son clavier virtuel : wpvt fo tvjttf rvboe ? (vous en suisse quand ?)
— Je lui ai demandé en abrégé quand est-ce qu'ils vont en Suisse.
La réponse ne tarda pas : qjdojd Dpodif nbsej.
— Ne garde pas tout pour toi, je veux participer ! s'agaça Florian.
— Attends Flo, je n 'ai pas tout compris. Je vais chercher du papier et un crayon, ce sera plus facile pour décoder les réponses de Bouboule. Sitôt revenu, Valentin traduisit la réponse sur le papier : picnic Conche mardi.
— C'est quoi Conche ? fit Florian.
— C'est quelque chose en Suisse, probablement un lieu dit. Tu as ton smartphone sur toi ? Connecte-toi en wifi à notre box et fais une recherche sur le web pendant que je prépare la suite. Le mot de passe de la box est « yancovalmont ». J'ai expliqué à mon grand-père que ça ne sert pas à grand-chose d'avoir un mot de passe trop sophistiqué.
— Trop quoi ?
— Compliqué.
Pendant que Florian entamait sa recherche, Valentin commença un nouveau message : PL g bt uu. Wbm fu Gmp.
— Bingo, j'ai trouvé ! Le lac de Conche en Suisse près de SuperChâtel. Ils vont pique-niquer près de ce lac mardi prochain, s'exclama Florian.
— Bravo, nous avançons ! Voici ce que je lui dis maintenant en langage SMS codé : OK f as tt Val et Flo.
La dernière réponse ne se fit pas attendre : tmu Gmp H g b d uu.
Valentin écrivit sur le papier : slt Flo G f a c tt. Florian traduisit à voix haute : Salut Flo, j'ai effacé tout.
— Pourquoi il ne dit salut qu'à moi ?
— Parce qu'il ne savait pas que tu étais là, tiens donc ! Maintenant nous avons le but de notre première balade en montagne mardi, mon vieux.
— Dis donc, le vieux a trois mois de moins que toi.
— Mais oui mon vieux, je te taquine ! Je vais maintenant envoyer un message anodin à Bouboule, message qui lui servira d'excuse s'il se fait attraper par son mono. Tu vas voir qu'il comprend au quart de tour.
Je suis rentré, où es-tu ?
En colo à Châtel.
Jusqu'à quand ?
15 août.
Bonnes vacances alors !
Merci A+
— Dis donc Val, je trouve que c’est vraiment dégueulasse d’utiliser les colons pour faire leur micmac ; seulement, qu’est-ce qu’on peut faire contre des adultes, hein ?
— Il faut que nous rassemblions un maximum de renseignements sur ce trafic : de qui s’agit-il, avec qui commerce-t-il, prendre des photos des personnages, de leurs voitures, mettre à jour leur petit commerce en ayant toujours l’air innocent. Si quelque chose doit mal se passer, on avertit l’adjudant chef Lemoine.
— Pourquoi pas tout de suite ?
— Parce que nous ne sommes sûrs de rien, nous n’avons que le soupçon de Bouboule. Jamais il ne déclenchera une enquête sur une si faible base.
— Donc à nous de jouer ?
— Et de jouer finement !