Valentin attendit d'avoir fini le goûter préparé par sa grand-mère pour monter dans sa chambre et sortir son iPhone 5S de la boite en carton pleine de riz. Les grains semblaient avoir rempli leur office d’absorption de l'humidité. La petite diode rouge qui était apparue au niveau du chariot de carte Sim avait disparu ainsi que la buée de la vitre mais il lui fut impossible d'allumer l'appareil. Pensant la batterie vide, il brancha le chargeur de l'appareil mais rien ne se passa, la charge ne se faisait pas. Il attendit cependant un quart d'heure qu'il mit à profit pour réviser la leçon de SVT sur la dynamique de la terre et les séismes, thème qui l'intéressait fortement.
Le quart d'heure écoulé, il tenta de nouveau la mise sous tension de son smartphone qui ne répondit pas. « Je vais être obligé d'accepter le cadeau de Charles-Henri » soupira-t-il intérieurement. J'aurais pourtant bien aimé le lui rendre non déballé. Il sortit de son cartable-sac à dos la poche de la FNAC délicatement offerte par son nouveau meilleur ennemi. Il eut une petite grimace de satisfaction en découvrant la boite en épais carton blanc marqué d'une pomme stylisée. La boite contenait, outre un chargeur nouvelle forme et un kit mains libres, un large appareil très mince aux bords arrondis et à l'écran surdimensionné.
« Un iPhone 6, j'en rêvais... mais pas de cette façon. L'autre me suffisait bien mais bon, celui-là de toute façon je ne l'ai pas volé ! » Il ôta de la prise le chargeur et l'ancien appareil hors d'usage et lui substitua son nouveau bijou. Constatant que la batterie était à cinquante pour cent de charge, il le débrancha, l'éteignit, sortit avec précaution le chariot et inséra sa carte micro-Sim qui fut immédiatement reconnue à la remise sous tension. En connaisseur des techniques propres à ce type d'appareil, Valentin activa les connexions WIFI et Bluetooth, se connecta à son Cloud et réintégra tous ses paramètres : sonneries, contacts, agenda, photos, vidéos et notes diverses. Il se mit ensuite à télécharger ses applications favorites : jeux, cartes connectées, altimètre, radio. Il allait s’atteler à la personnification des diverses sonneries et messages d'alerte quand l'appareil vibra et l'écran afficha : « Lemoine appelle ». Il accepta immédiatement la communication.
— Ah, mon petit Valentin, tu es enfin disponible.
— J'ai toujours été disponible, c'est mon appareil qui ne l'était pas.
— J'en déduis que tu as reçu ton nouveau téléphone.
— Oui, les Dupont de la Haute se sont montrés réglos, pour une fois.
— Tu sais pourquoi je t'appelle ?
— J'ai bien ma petite idée. Mon dernier mail, c'est ça ?
— Tout juste. Avant de rendre mes conclusions au procureur sur la possibilité d'un crime, j'aimerais savoir ce qui t'a amené à penser que la noyade de cet homme - qu'on n'a d'ailleurs pas pu identifier pour l'heure car il n'avait pas de papiers - était accidentelle.
— La photo, mon adjudant-chef.
— Tu as vu une photo du noyé ?
— Sur votre bureau.
— Tu n'as pas fouillé j'espère. Si même toi Valentin tu te permets des indiscrétions...
— Je suis plus curieux qu’indiscret. La photo était en évidence.
— Alors, d'où tires-tu ton affirmation ?
— Les noyés d'Amsterdam.
— Hein ? Que veux-tu dire ? Quel rapport avec les Pays-Bas ?
— J'ai lu quelque part que dans les canaux d'Amsterdam, qui sont nombreux, on repêche quelques fois des noyés, surtout le dimanche matin et que ces noyés présentent pour beaucoup une particularité.
Valentin marqua volontairement un silence stratégique.
— Bon, alors ?
— Beaucoup de ces noyés ont la braguette ouverte ! mon adjudant-chef.
— Hein ?
— La braguette ouverte, comme votre client.
— La braguette ouverte, donc c'est un accident ! Tu te moques de moi ?
— Pas du tout mon adjudant-chef, imaginez la scène suivante : samedi, une soirée alcoolisée, ivresse, besoin de prendre l'air, quelques pas en titubant, vessie pleine, envie de se soulager, il choisit de faire dans le lac, ce qu'entre parenthèses je désapprouve totalement. Le ponton est humide, l'homme vacille, glisse et chute. Sa tête heurte les planches et plouf ! Vous verrez que les rapports médicaux indiqueront un fort taux d'alcool dans son sang.
— Il y a quand même une faille dans ton raisonnement, Valentin, aucune disparition n'a été signalée dans le village.
— Écoutez, dimanche matin, après vous avoir parlé à l'embarcadère, un peu plus loin sur le chemin, j'ai remarqué trois très grandes tentes blanches sur la pelouse d'une villa du bord du lac, des tréteaux, de la vaisselle sale. Il a dû y avoir une noce ou un vin d'honneur ou une fête quelconque samedi, avec beaucoup d'invités, pas forcément du village. Il est fort probable que vous allez bientôt remarquer une voiture tampon dans un parking voisin de l'embarcadère ou du port ou même de la plage avec, dans la boite à gants, les papiers de cet homme.
— Valentin, Valentin, tu m'impressionnes, je crois que je vais démissionner de la gendarmerie et te faire nommer à ma place !