Le lendemain mardi à la rentrée de huit heures, après s'être longuement concerté la veille au téléphone avec Quentin et établi son plan d'action, Florian attendit de se laisser aborder par Marine. Celle-ci vint d'abord se placer près de lui sans rien dire, attendant à l'évidence qu'il prenne l'initiative de la conversation mais Florian se contenta d'un « salut Marine ! » tout à fait neutre et prit la direction du point de rassemblement de la classe. Ce n'est que dans le long couloir qui menait à leur salle de cours qu'elle lui toucha le bras en disant :
— Alors ?
— Alors quoi ?
— Mais ta décision pour demain après-midi.
— Demain après-midi j'ai compèt' de volley avec l'équipe minime du collège.
— Ah... Et ensuite ?
— Ensuite ? Florian fronça les sourcils et resta plusieurs secondes sans rien dire puis il fit celui qui vient de se rappeler. Ah oui, ton ciné-club ! On joue quoi ?
— Ce sera une vidéo de votre choix, il y en a des dizaines !
— Oui, bon, si ça peut te faire plaisir.
— Et Quentin ?
— Ben il faut que tu lui demandes.
— Ah, tu ne l'as pas fait ?
— Pas eu le temps, ta sœur n'a qu'à le voir à la récré.
En entrant dans la classe, Florian croisa le regard interrogateur de Valentin. En retour, il lui fit un léger clin d’œil accompagné d'un acquiescement du menton. Pendant l'heure d'anglais avec Radissel, il fut plus occupé à surveiller les sœurs jumelles qu'à suivre le cours. Il observa l'attitude rêveuse d'Océane assise près de Charles-Henri et l'activité de Marine qui écrivait sur une feuille volante dès que le professeur avait le dos tourné. Au bout d'un certain temps, Marine plia son papier, le glissa à Morgane sa voisine en articulant sans bruit : « pour Quentin ». Morgane saisit la missive et chuchota à son voisin « Quentin, c'est pour toi » au moment précis ou Radissel se détournait du tableau pour faire face à sa classe.
— What are you doing miss Morgane? (Que faites-vous mademoiselle Morgane ?)
— Heu moi rien... nothing sir! (rien monsieur !)
— So come here and give me this paper of no importance. (Alors venez ici et donnez moi ce papier sans importance.)
Morgane eut une brève expression d'impuissance destinée à Marine, se leva et tendit le papier au professeur.
— Voyons, c'est écrit en français, enfin presque, donc hors sujet, n'est-ce pas ?
« une séance de ciné demain AM avec moi et ma sœur ça te dirait ? » lut Radissel à haute voix. AM dans la discipline que nous étudions signifie Ante Meridiem donc avant midi. Comme demain avant midi vous serez en cours ici même et non au cinématographe, je penche plutôt pour Après-Midi. Ensuite, quand on est poli, il est d'usage de citer les autres avant soi donc il faudrait dire avec ma sœur et moi, mademoiselle Morgane.
— Mais m'sieur c'est pas moi qui...
— Vous n'avez pas de sœur ? Ce n'est donc pas vous l'auteure de cette pressante demande. Comme vous la tendiez vers l'ouest, je présume qu'elle provenait de l'est, ou à la rigueur du nord ou du sud donc Marine, Pascal ou Clément.
Morgane jeta un bref regard vers sa gauche, coup d’œil qui n'échappa pas au professeur.
— Miss Marine, à qui destiniez vous cette invitation ?
— M'sieur, c'est pas grave, c'est juste un mot comme ça, pour éviter de déranger le cours, tenta Marine.
— J'entends bien mais vous ne répondez pas à la question, donc je répète, à qui cette lettre était-elle destinée ?
— À Quentin, murmura Marine en rougissant.
— Quentin, prenez votre courrier, vous voudrez bien attendre l'interclasse pour rédiger votre réponse, n'est-ce pas ? Et maintenant j'exige l'attention de tous ! Reprenons, il est d'usage dans la langue anglaise d'abréger l'écriture des expressions courantes comme I'm pour I am, don't pour do not etc. Vous allez recopier la liste de ces abréviations que je vais vous établir au tableau et l'apprendre par cœur pour demain matin.
Tout satisfait de cette première victoire, Florian passa le reste de l'heure d'anglais à réfléchir tout en faisant semblant d'écouter le professeur. Il arriva à cette conclusion que, si Valentin avait raison, ce rendez-vous amoureux ne pouvait pas en être un, car se passant chez les Dubois-Machin et probablement en présence de celui-ci. Pas besoin de quelqu'un pour tenir la chandelle ! Y avait-il une autre fille dans le coup ? La grosse Morgane ? Peu probable. Valentin avait vu juste, c'était probablement une tentative de division de son groupe. Il décida d'aborder Quentin sitôt la fin du cours avant que Marine ait le temps de l'approcher.
Dès la sonnerie, il se porta à sa hauteur et ils se dirigèrent ensemble vers le banc favori du groupe où tous les copains une fois de plus se réunirent. Quand ils furent là, Florian, d'habitude homme d'action, prit la parole et expliqua tout à ses amis. Des sourires amusés égayèrent les visages et quelques réflexions fusèrent :
Vous n'avez pas choisi les plus moches !
Comment allez-vous faire pour vous y retrouver ?
Vous allez regarder des films d'amour ou bien ?
Et si elles opèrent un échange standard, vous faites quoi ?
On peut être amoureux des deux en même temps ?
Valentin s'abstint de tout commentaire, il suivait, amusé également, le déroulement du plan qu'il avait suggéré. Florian continua.
— Donc, la première chose à faire, c'est de leur montrer qu'on n'attend pas après elles. Mathilde, Pauline, vous êtes d'accord pour faire semblant d'être nos bonnes copines, là, tout de suite ?
— Seulement semblant, hein ? répondit Mathilde.
— Main dans la main et rien de plus ma belle, et toi Pauline ?
— D'accord si ça peut embêter Océane.
— Allons-y, on marche un peu ensemble dans la cour, jusqu'à la piste d'athlé et on revient ici. Après je m'isolerai un peu pour attendre la suite, je crois que nous sommes scrutés, devinez par qui !
Quand les quatre comédiens eurent à nouveau rejoint le groupe, quand Florian l'air décontracté s'éloigna un peu de ses copains, comme il avait prévu, Marine en effet l'aborda.
— À quoi tu joues Florian ?
— Que veux-tu dire ?
— Ma proposition ne te plaît pas ? Tu préfères Mathilde ?
— Mathilde est une bonne copine.
— Tu n'as pas envie de voir cette super installation ?
— Si, j'ai bien envie de voir ce home-ciné géant et tous mes copains aussi.
— Comment ça tout le monde ? Tu leur as dit ?
— Ben oui, fallait pas ? Ils sont tous curieux de voir ça.
— Mais moi je voulais qu'il n'y ait rien que nous deux.
— Tu veux dire nous quatre ?
— Oui mais...
— Nous quatre plus un chandelier.
— Je ne comprends pas.
— Un Carlos-Henrique Ier pour tenir la chandelle ! Tu sais, j'ai tout compris. C'est le seul qui puisse disposer d'un tel matos et ça tu t'es bien gardée de me le dire. L'idée de nous attirer vient-elle de toi, de ta sœur ou de votre nouveau chef d'équipe ? En fait, je m'en fous, mais je vais te dire une bonne chose Marine : jamais vous ne réussirez à semer le trouble dans notre équipe, jamais vous nous séparerez. Donc si ton mentor Charles-Hareng veut nous épater avec sa technologie de nouveau riche, il n'a qu'à inviter tout le monde ou personne, compris ? Tu peux aller faire ton rapport, ils te regardent ! Je te salue Marine !