VALENTIN ET COMPAGNIE

4. LE LAC DE CONCHE

Dans la télécabine, collés contre la vitre aval, les enfants admiraient le paysage qui s’ouvrait de plus en plus devant leurs yeux. Les Hauts forts apparurent dans le lointain à gauche du col de Bassachaux et à droite, plus proche, se dessina le mont de Grange, majestueuse pyramide herbeuse.
— Papa, tu crois qu’on pourra grimper cette montagne ? Elle a l’air facile.
— Vous les garçons, je pense que vous en êtes capables mais même si on peut aller en camping-car jusqu’au col, le reste de l’ascension est beaucoup trop rude pour Chloé.
— Ah, dommage.
— Nous arrivons, n’oubliez pas vos affaires. Les garçons, puisque c’est vous qui avez choisi la balade, prenez la direction des opérations.
— Vas-y toi Val, tu sais lire un plan mieux que moi.
— OK. Il est dix heures et demie, c’est parti pour un bon quart d’heure de marche. Chloé, même si le chemin te semble facile, ne va pas trop vite au début et ne cours pas partout, sinon tu vas épuiser tes forces.

— Nous y sommes presque, regarde Chloé, on voit le lac, c’est beau, non ?
— Il est tout petit ton lac ! Mais il est joli quand même avec tous ces roseaux au bord.
— C’est toi qui choisis l’endroit pour pique-niquer.
— Là-bas, entre les deux sapins !
— D’accord, mais ce ne sont pas des sapins.
— Ben si, c’est comme nos sapins de Noël, alors c’est des sapins.
— On fait le tour du lac en courant Val, pour nous creuser l’estomac ? proposa Florian.
— Moi aussi je veux le faire, je veux aller avec vous.
— Non Chloé, intervint sa maman, tu es encore trop petite, tu n’arriveras pas à les suivre.
— Nous jouerons avec toi tout à l’heure, après le repas, la consola Valentin.
Dès qu’ils furent éloignés du point de pique-nique, Florian avoua sa perplexité.
— Bouboule, Eva et la colo ne sont pas là ! Et s’ils avaient changé d’avis, s’ils ne venaient pas ?
— Dans ce cas nous aurions fait une promenade sympathique, mais il est à peine onze heures, ils ont encore le temps d’arriver.
— Tu as réfléchi à un plan d’action ?
— J’ai envisagé plusieurs cas de figure. Tu te rappelles, Bouboule nous a parlé du sac à dos d’Eva. La mère d’Eva n’est pas riche donc je pense que Eva utilise son sac à dos d’école pour les randonnées en montagne. Tu peux me dire à quoi il ressemble ce sac ?
— Ben je ne sais pas, jamais fait attention.
— Pourtant, c’est avec une histoire de sac à dos qu’Eva a intégré notre groupe.
— Ah oui, l’affaire avec la grosse Morgane. Oui, je me rappelle maintenant, son sac est un vieux truc vert sans un dessin.
— Et le mien aujourd’hui ?
— Il est vert aussi mais ce n’est pas le même.
— Pas grave. Dès que le groupe de Bouboule arrivera, la première chose qu’ils feront tous sera de se débarrasser de leur charge. À ce moment là, si quelque chose attire leur curiosité, ils se déplaceront pour voir et laisseront leurs sacs sur place. Alors si c’est le cas, voici ce que tu demanderas à...

— Tu as assez mangé Valentin, encore un peu de taboulé ?
— C’était très bon mais j’ai suffisamment mangé, merci beaucoup Carine.
— Bon, prenez votre fruit et allez vous amuser. Nous, nous allons faire une petite sieste à l’ombre.
Florian et Valentin se levèrent de la toile à pique-nique et se dirigèrent vers le lac.
— Midi et demi et ils ne sont toujours pas là. D’après toi, par quel chemin vont-ils arriver ?
— J’ai étudié le plan de la région. Pour venir ici, il n’y a que trois chemins : celui qui descend du mont Morclan, celui qui vient de Morgins et celui qui monte de Châtel. À ton avis, ils vont prendre lequel ?
— Le dernier, évidemment.
— Alors, allons à leur rencontre.
Suivi comme leur ombre par Chloé, les garçons s’engagèrent sur le chemin fléché. Ils quittèrent la clairière du lac pour s’engager dans la forêt de conifères dans la puissante odeur de résine des arbres surchauffés par le soleil de midi.
— Ça sent les bonbons comme quand on a mal à la gorge, constata Chloé.
Au bout de quelques minutes de descente Florian chuchota :
— Silence ! J’entends des voix...
— Comme Jeanne d’Arc, s’amusa Valentin.
— Trop drôle ! Qu’est-ce qu’on fait ? continua Florian.
— On fait demi-tour.
— Non, moi je veux continuer, c’est plus facile de descendre, trépigna Chloé.
— Toute seule alors, taquina son grand frère, nous, nous retournons jouer dans la clairière.
— Moi aussi je veux jouer dans la clairière !
— Alors tu devras passer une épreuve pour avoir le droit de jouer avec nous.
— C’est quoi une épreuve ?
— Tu devras faire quelque chose, quelque chose de difficile, pour montrer que tu n’as pas peur et que tu peux jouer avec les grands. Cette épreuve est secrète, tu n’auras pas le droit d’en parler, à personne, même pas aux parents, tu entends ?
— Bon d’accord.
— Allez, tais-toi et suis-nous !

De retour dans la riante clairière du lac, Chloé insista :
— C’est quoi mon épreuve ?
— On attends Valentin.
— Ben il est où Valentin ?
— Parti faire pipi derrière un arbre.
— Pfoufff ! pouffa Chloé, Valentin fait pipi !
— Ah, il y a des gens qui viennent. Tout un groupe, ce doit être ceux de la colonie de vacances.
Un équipe de huit garçons âgés de douze ou treize ans, foulards de reconnaissance bleus noués autour du cou de chacun et autant de filles reconnaissables à leurs foulards jaunes débouchèrent dans la clairière, encadrés par un moniteur omniprésent à l’avant et une monitrice discrète à l’arrière. Ils avançait en colonne vers la berge. Eva Lacourt avec son sac à dos vert et Pascal Boulot, sac rouge sur le dos faisaient partie de l’équipe. Bouboule tournait la tête en tous sens et son regard croisa celui de Florian sans manifester quoi que ce soit.
— C’est pas un copain à toi dans le groupe, là, celui qui a des lunettes ? demanda Chloé.
— Il lui ressemble un peu mais non, ce n’est pas lui, affirma Florian.
— Stop, dit leur moniteur, on établit le camp ici sous ces épicéas.
— Hé ho, Florian, viens voir les têtards, cria une voix depuis le bord de l’eau.
— Il y a des têtards ! On peut aller voir, Max ? dit aussitôt la voix d’un colon.
— C’est bon, allez-y.
— Merci chef !
Plusieurs garçons et filles de la colonie, dont Eva et Bouboule, ainsi que la monitrice, déposèrent leur sacs et coururent vers la berge.
— Oh c’est Valentin, dit Chloé, il est déjà là-bas. Viens, on va voir nous aussi.
— Non, ton épreuve d’abord si tu veux jouer avec nous. Tu vas aller chercher ce sac vert que tu vois là-bas à côté du sac rouge et tu reviens tout de suite me l’apporter, c’est pour faire une farce à Val. Je cache le sien et je vais mettre celui-là à la place. Tu ne lui diras rien surtout ! Si tu réussis, on ira voir les têtards et ensuite on jouera à cache-cache. Allez, heu... attends... attends… encore un peu... dit Florian en observant le moniteur qui après un regard circulaire se dirigeait lui aussi vers le petit lac avec le reste des colons, vas-y maintenant, va le chercher, je t’attends...
— Bien joué Chloé ! Donne, je vais faire l’échange et cacher celui de Val. Maintenant on peut descendre voir les têtards mais surtout, tu ne dis rien, à personne, d’accord ?
— Promis, accepta Chloé.
Frère et sœur descendirent les cinquante mètres qui les séparaient du lac, Chloé contenant difficilement un sourire complice et Florian hochant affirmativement la tête à l’intention de son ami.
— Regarde Chloé, ces têtards-ci n’ont pas de pattes tandis que ceux-là ont déjà leurs pattes arrières, montra Valentin en les désignant d’un bout de roseau.
— C’est drôle d’avoir des pattes qui poussent s’amusa Chloé, moi c’est les dents !
— C’est bon pour toi, Flo ?
— Tout s’est bien passé, Chloé a le droit de jouer avec nous.
— Alors remontons, nous allons faire une partie de cache-cache premier vu. Chloé, tu sais compter jusqu’à combien ?
— Jusqu’à cent ! affirma toute fière la sœur de Florian.
— Super ! félicita Valentin. C’est toi qui t’y colle la première, contre ce gros tronc. Tu comptes lentement jusqu’à vingt, oui seulement jusqu’à vingt, mais à l’envers et sans tricher, hein ?
— Promis, je regarderai pas. Mais vous vous cachez pas trop loin, hein ?
— Promis aussi, allez, commence à compter.
Chloé appuya un avant-bras contre le tronc rugueux du conifère, colla ses yeux contre son avant-bras et commença le compte à rebours. Florian saisit le sac à dos d’Eva et les deux garçons disparurent derrière les basses branches touffues d’un autre épicéa. Hâtivement, Valentin ouvrit le sac et déballa son contenu : un chandail, un antique téléphone portable, une gourde cabossée, un t-shirt et un sac en plastique noué par ses deux anses contenant des pommes. Du fond du sac à dos, il sortit une autre poche plus petite mais pareillement fermée. Dénouant rapidement les attaches, il sortit un paquet enveloppé de papier d’aluminium.
— Bingo, Bouboule avait raison, chuchota Valentin. C’est bien l’odeur de cette saloperie de résine de cannabis. J’ouvre le paquet !
— Tu es sûr de ce que tu fais ?
— Aucune hésitation.
Défaisant soigneusement le papier d’aluminium, il mit au jour dix huit barres énergétiques absolument semblables par leur emballage à celles du commerce. Valentin les palpa une à une, dix d’entre elles avaient une consistance ferme et donnaient facilement le change mais les huit autres se laissaient fléchir à la pression du pouce.
— Il n’y a pas que de la résine, chuchota-t-il.
— Quoi d’autre à ton avis ?
— À ton avis, qu’est-ce qu’un trafiquant de drogue peut essayer de faire passer ?
— De la drogue évidemment.
— Donc je pense qu’il s’agit probablement de sachets comme ceux que l’adjudant-chef Lemoine nous a montrés lors de sa conférence.
— De la cocaïne, tu crois ?
— J’en suis presque sûr, je vérifie.
Valentin sortit son opinel et de la pointe de celui-ci ouvrit soigneusement une des barres à souple consistance. Il poussa du doigt l’arrière de l’emballage et fit sortir une série de sachets de papiers blancs soigneusement pliés. Quoique n’ayant aucun doute quant au résultat, il en ouvrit un et mit au jour une fine poudre blanche.
— Qu’est-ce qu’on fait ? On jette tout ?
— Sûrement pas ! Je remets tout en place au contraire, mais tout d’abord, combien y en a-t-il ? Voyons dix sachets par pile, quatre piles par barres, huit barres souples en tout donc trois cent vingt sachets de drogue et je ne parle pas des dix barres de résine de cannabis. Je n’ai pas fait le calcul mais je pense qu’il y en a pour une sacrée somme d’argent.
— On replace tout dans le sac ?
— Je remets tout en place dans le sac d’Eva sauf les barres. Nous reconstituons le paquet et nous le planquons soigneusement, tiens, contre ce rocher et sous plusieurs gros cailloux. Repérons bien l’endroit. Je vais même prendre les coordonnées du lieu, ajouta Valentin qui activa l’application Altimeter de son smartphone. Il attendit quelques secondes pour que celle-ci fasse la recherche puis il appuya simultanément sur les boutons allumage et activation. L’appareil émit un déclic en capturant les données de l’écran. « Il va falloir que je coupe les sons d’accompagnement pour la suite » pensa-t-il puis il ajouta à voix susurrée :
— C’est bon Flo, on ne voit plus rien. Je prends l’endroit en photo, pousse-toi un peu, tu ne dois pas figurer sur l’image. Je suis curieux de connaître la réaction du moniteur de Bouboule quand il s’apercevra que sa marchandise a disparu.
— J’ai entendu un colon dire son nom, il s’appelle Max.
— Enregistré. Et la monitrice ?
— Sais pas. Attention, Chloé nous cherche par ici.
— Je vais cacher le sac à dos d’Eva dans un autre arbre près de leur camp. Pour me laisser du temps, fais-toi prendre d’abord.
— OK.
— Florian je t’ai vu ! Tu as perdu ! C’est toi qui t’y colle maintenant. Tu peux sortir Valentin, Florian est pris ! cria Chloé.
— Rassemblement ! ordonna le moniteur de sa forte voix grave, rassemblement !
De la rive aux têtards remontèrent un à un les colons vers le point de pique-nique. — Sortez les provisions de vos sacs, continua l’homme qui visiblement semblait bien également être le chef des moniteurs.
— Cheftaine, je ne retrouve plus mon sac, se plaignit Eva.
— Où l’avais-tu posé ?
— Près du sac de Pascal, le sac rouge, là.
— Ne t'inquiète pas, il n’est sûrement pas loin, quelqu’un a voulu te faire une petite farce. Il est de quelle couleur ton sac, Eva ? Continua la monitrice en posant le bras sur son épaule.
— Il est vert.
— Tout le monde cherche le sac vert d’Eva, imposa le moniteur. Regardez derrière les arbres et dans les buissons. Allez, on s’active !
— Chef, chef, il y a un sac vert accroché à une branche derrière cet arbre là !
— Décroche-le. C’est bien le tien Eva ?
— Oui, c’est celui-là.
— Je ne veux plus voir de farces stupides comme celle-ci, menaça le moniteur, compris tout le monde ?
— Oui tout seul... marmonna Bouboule tout en hochant la tête comme les autres colons.
— Eva, viens-là avec ton sac, qu’est-ce que tu devais transporter aujourd’hui ?
— Des pommes et les barres énergétiques.
— Sort tout.
Eva plongea la main, sortit la poche enfermant une huitaine de pommes.
— Je ne trouve pas la poche avec les barres, s’étonna-t-elle.
— Donne-moi ça ! fit le moniteur en saisissant le sac d’Eva. Il le retourna, vida sur l’herbe toutes les petites affaires de la timide adolescente. Fébrilement, il fouilla et refouilla.
— Qu’as-tu fait de cette poche ? Qu’est-ce que tu as fait de ces barres ? Réponds ! dit brutalement l’homme visiblement inquiet.
— Mais rien. Je n’ai pas ouvert mon sac depuis le chalet des marmottes.
— Pourquoi tu ne l’as pas surveillé ?
— Vous nous avez donné la permission d’aller voir les têtards, j’y suis allée et j’ai laissé mon sac à dos ici comme tout le monde ou presque.
— Tu seras punie ! Pas de veillée pour toi ce soir.
— Chef, ce n’est pas important quelques barres énergétiques, d’ailleurs vous ne nous en donnez jamais en chemin, tenta de calmer Pascal Boulot. Laissez Eva tranquille, elle n’y est pour rien.
— De quoi tu te mêles, toi !
— Je me mêle ce qui me regarde. Je trouve que vous attachez beaucoup d’importance à bien peu de chose. Et puis vous n’êtes pas le moniteur d’Eva, elle n’est pas dans notre équipe, vous n’avez pas le droit de la punir.
— Pourquoi tu prends sa défense comme ça, hein ?
— Eva est une amie et je dis simplement qu’elle n’a rien fait et qu’elle ne doit pas être punie. On va essayer de les retrouver vos barres, même si on n’en mange jamais. Hé, les marmottes, on cherche tous une poche en plastique contenant des barres comme des barres de chocolat. Elles sont enveloppées dans du papier d’alu dans un sac en plastique, c’est bien ça chef ? cria Bouboule. Allez les gars, on demande à tous les gens s’ils ont vu ou trouvé quelque chose. Dites, si on les retrouve, on pourra les manger ces barres, chef ? Sans attendre de réponse ni la permission, Pascal, imité par Eva et quelques autres se levèrent et se dispersèrent dans la clairière ainsi que sous les arbres proches. Pascal et Eva se dirigèrent comme au hasard vers Florian qui, collé à un tronc, n’avait rien perdu de la petite altercation.
— Salut, dit Pascal, je suis de la colo qui pique-nique là-bas. Tu n’aurais pas repéré quelqu’un qui se serait trompé de sac ?
— Ben si, répondit Florian d’une voix forte, de façon à être entendu par le moniteur qui ne quittait pas Eva des yeux. Chloé, Valentin, j’arrête un instant ! cria-t-il, quelqu’un me demande un renseignement !
— Tu sais quelque chose, toi ? intervint le moniteur qui s’était approché.
— Ben oui, tout à l’heure j’ai demandé à ma petite sœur de m’apporter le sac vert de mon copain. Elle s’est trompée et m’a apporté un autre sac de la même couleur. Quand je m’en suis aperçu, j’ai fouillé dedans pour essayer de savoir à qui il appartient. Comme je n’ai rien trouvé pour l’indiquer, je l’ai suspendu à une branche pour qu’il soit bien visible et que son propriétaire puisse le récupérer, c’est tout.
— Il y a longtemps ?
— Ch’sais pas trop, cinq minutes, dix minutes peut-être.
— Tu as pris quelque chose dedans ?
— Ben non, j'suis pas un voleur.
— Et ton copain, il a pris quelque chose ?
— J’crois pas !
— Il est où ce copain ? Tu vas le chercher !
— Dites donc, je ne suis pas votre chien, vous n’avez pas à me donner des ordres. Après tout j’m’en fous complètement moi de vot’sac !
De plus en plus énervé, d’une main l’homme saisit Florian par le devant du tee-shirt :
— Je t’ai dit d’appeler ton copain, tout de suite ! Où est-il ?
— Lâche mon frère, toi, dit Chloé en poussant l’homme.
— Te mêle pas de ça, la mioche, gronda le moniteur de plus en plus énervé en éloignant de l’autre bras la gamine qui tomba sur les fesses.
— T’arrête de faire du mal à ma sœur espère de brute mal polie, s’énerva à son tour Florian en se dégageant de la prise par un demi-tour du buste et en donnant un coup du pointu de sa chaussure de marche sur le tibia de son adversaire qui poussa un cri de douleur. En retour il reçu une gifle retentissante.
Chloé hurla :
— Papa, maman, y a un homme qui fait du mal à Florian !
Stéphane et Carine, sortis de leur torpeur, s’approchèrent vivement.
— Qu’est-ce que vous voulez à mes enfants, vous ? Et d’abord qui êtes-vous ?
— Ces gosses ont volé le sac d’un colon.
— C’est vrai ça ? s’enquit le père de Florian.
— Absolument pas. J’ai simplement demandé à Chloé d’apporter le sac de Valentin et elle a confondu avec un autre à cause de la couleur, c’est tout.
— Ils ont fouillé dedans ! insista le moniteur. Ils ont volé quelque chose.
— Qu’auraient-ils volé selon vous ?
— Heu... Un sac contenant des barres énergétiques.
— Et c’est pour ça que vous faites une telle histoire ?
— C’est pour le principe. Je suis un éducateur et je m’efforce d’enseigner l’honnêteté aux enfants, ça passe avant tout.
— Avez-vous la preuve qu’ils ont volé ?
— Ils ont avoué avoir pris le sac d’un de mes colons.
— Eva n’est pas dans votre équipe mais dans celle de Christiane sa monitrice, contredit Bouboule.
— S’ils avaient volé, ils n’auraient pas avoué spontanément s’être trompés, soyez logique, continua Stéphane.
— Il a donné une claque à Florian, même qu’il a la joue toute rouge ! dénonça Chloé.
— Vous avez osé frapper mon fils ! s’emporta Carine. Je vais porter plainte contre vous monsieur !
— Ça, il vous faudra le prouver !
— Nous deux, on a tout vu, intervint Bouboule, et les autres du groupe aussi.
Le moniteur jeta un regard furieux vers l’intervenant mais fit semblant de ne pas avoir entendu la remarque qui le mettait en état d’infériorité.
— Votre si gentil garçon m’a donné un violent coup de pied là, dit-il en montrant son tibia sur lequel était apparue une ecchymose bleue et rouge, légèrement sanguinolente.
— Oui, ben je n’ai fait que me défendre et défendre Chloé, affirma Florian avec véhémence en massant sa joue endolorie.
— Où loge-t-elle votre colonie de vacances ? Ici, en Suisse ? Je compte bien aller voir votre directeur pour le mettre au courant et porter plainte, reprit le père de Florian et Chloé.
— C’est la colonie des Marmottes dans le chalet des Marmottes à Châtel, intervint de nouveau Bouboule avec son apparente naïveté, s’attirant un nouveau regard courroucé.
— Écoutez monsieur, ne faisons pas toute une histoire pour cette gaminerie, se radoucit le moniteur. J’oublie le vol et le coup de pied de votre fils et vous passez l’éponge sur mon emportement.
— On n’a rien volé du tout ! cria Florian.
— Je veux simplement dire l’échange des sacs...
— Alors ne dites pas qu’on a volé. Si je dois voler un jour, je ne volerai que des voleurs ou des sales types, comme faisait Robin des bois.
— Bon, je veux bien oublier pour cette fois, conclut Stéphane, occupez-vous de vos colons et laissez mes enfants tranquilles. Venez Chloé, Florian, allez jouer plus loin.

— Il est où Valentin ? demanda Chloé quand ils eurent regagné leur endroit de pique-nique.
— C’est vrai, ça, remarqua Carine. Il était bien avec vous avant cette histoire...
— Oui, on jouait à cache-cache, continua Chloé. C’est Florian qui s’y collait et nous on se cachait.
— Il a dû trouvé une sacrée bonne cachette, affirma Stéphane. Vous n’avez qu’à l’attendre, il va finir par se montrer.
Mais Valentin malgré leurs appels ne revenait pas. Florian jetait de rapides regards vers les colons qui pique-niquaient par petits groupes à une trentaine de mètres d’eux. Il avait conscience que Bouboule et Eva sa copine faisaient de même avec lui mais ne lui adressaient aucun signe de connivence. N’y tenant plus, Florian sortit son smartphone, le plaça sur vibreur et pianota à l’intention de Valentin :
— Ks tu fé ?
Une rapide conversation par SMS s’engagea.
— Caché, j’attends ! fut la rapide réponse.
— Quoi ?
— Que ça bouge.
— Qui ?
— Monomax.
— Moi quoi ?
— Dire quand il bouge.
— OK.
« Ainsi Valentin prévoit une suite à cette aventure », pensa l’adolescent. Il s’allongea dans l’herbe de la clairière de façon à garder la colonie dans son champ de vision. Au bout de dix minutes, il vit le moniteur se lever et, après une discussion avec sa collègue, partir sur le sentier du tour du lac.
Florian tapa rapidement sur l’écran de son smartphone :
— Il part.
— Direction ?
Florian lança et activa son application boussole.
— S.E, écrivit-il.
— J’en étais sûr.
— Ks k je fé, aide ?
— Non, attendre.
— Longtemps ?
— Je le vois, stop message.
Florian reporta son regard dans la direction qu’avait pris le moniteur. Celui-ci avait largement dépassé le bout du petit lac et s’engageait dans le large chemin descendant à l’opposé de celui de Châtel puis, la pente aidant, il disparut de sa vue.

Vingt minutes plus tard, le père de Florian s’activa.
— Dites les enfants, si on veut faire toute la descente à pied, il va falloir songer à partir. Où est Valentin ?
— Ben je ne sais pas exactement, je crois qu’il est parti sur le chemin qui mène à Morgins, à moins qu’il explore celui qui monte au Morclan. Il adore faire des photos de fleurs.
— En fait, tu n’en sais rien ! Valentin est pourtant un garçon sérieux, il ne disparaîtrait pas ainsi sans rien dire. Appelle-le sur son portable.
Florian sortit son smartphone, fit apparaître la liste de ses contacts favoris et toucha la photo de son ami. Immédiatement la communication bascula sur le répondeur de Valentin.
— Il ne prends pas l’appel, j’ai son répondeur tout de suite. Il a dû éteindre son appareil. Qu’est-ce qu’on fait ?
— Nous ne pouvons qu’attendre. Je crois que la colonie est en train de lever le camp.
— Il est revenu le moniteur ?
— Ah ? Il était parti ?
— Heu, je ne sais pas, je ne le voyais plus, se reprit Florian. Il était peut-être simplement couché dans l’herbe. Tiens oui, on dirait qu’ils s’en vont.
— Tout de même, l’absence de ton ami me tracasse. Essayons de l’appeler en criant, à trois... Un, deux, trois :
— VALENTIN ! hurlèrent à plusieurs reprises Florian et sa famille, attirant l’attention des randonneurs et faisant se retourner les colons qui commençaient leur descente.
L’appelé ne se manifesta pas. Un pli d’inquiétude barra le front de Stéphane Marlin.
— Ne t’en fais pas papa, Val a toujours su se débrouiller.
— Peut-être quand ça ne dépend que de lui. Mais là vois-tu, avec ta mère, nous sommes responsables.
— Attends papa, mon téléphone vibre, oui, c’est lui. Allô Val ? Qu’est-ce que tu fous ? On est mort d’inquiétude ! Tu t’es égaré dans le bois ? Et maintenant, tu vas savoir nous retrouver ? Ah, tu aperçois le lac... OK, nous t’attendons. La colo ? Elle vient de partir, je les entends chanter, tiens écoute, dit Florian en orientant son smartphone vers le son qui montait du chemin en s’amenuisant :
Sourions, sourions,
Un colon brave tout, un colon brave tout,
Sourions, sourions,
Il prend tout par le bon bout...